Journaliste au pôle Culture
Par Thierry Coljon
Magazine des arts et du divertissement (MAD)
Publié le 6/12/1995
L’intégrale de Renaud, c’est pas du gâteau ni des bonbons. Il n’y a que Sardou, Mitchell ou Hallyday pour pouvoir se vanter d’avoir été à ce point choyés par une firme de disques. Les cubes de Brel, de Barbara, de Brassens, de Gainsbourg ou de Bashung font triste figure à côté de ce monument aux boules. L’objet d’abord : un « véritable distributeur en métal » issu de l’univers des jouets mécaniques en tôle imprimée, avec tiroir pour sortir non pas les cailloux mais les disques les uns après les autres. Imaginée par Gérard Lo Monaco, cette boîte en fer-blanc étamé a été exécutée en tirage limité par les établissements Durual. De l’artisanat qui coûte la peau des fesses évidemment (1), mais ce n’est pas vraiment aux Manu, Pierrot, Gérard Lambert et autres mômes qu’est destinée cette intégrale puisqu’ils ont déjà un bon paquet de disques, mais plutôt aux Gonzague friqués qui ont de quoi cracher pour avoir une vue complète sur cet artiste qu’ils ont découvert sur le tard.
Les fans, ça les fait râler évidemment, car il y a dans le distributeur trois albums entièrement inédits. On peut sans trop se tromper penser qu’ils sortiront plus tard séparément, mais, en attendant… faut attendre ou alors se ruiner. Le premier de ces inédits est « Le Retour de la chetron sauvage », issu de son Zénith 1986, avec, en pièce de résistance, un medley de presque vingt minutes. « En cloque », « Deuxième génération », « P’tite conne », « Baby-sitting Blues » et « Doudou s’en fout » étaient déjà de la partie. Il y a ensuite le disque « Les introuvables » avec de ces incunables issus de 1980 à aujourd’hui. Du genre « Welcome Gorby », de 1992, « Toute seule à une table », extrait de l’album antisida « Urgence », la version anglaise (et très anecdotique) de « Miss Maggie », le « Sidi h’bibi » à la Mano Negra qui se trouvait sur le « Diversion » de Virgin, « Ourson prisonnier », de 1994, qui était de « L’Évasion de Toni », d’Henri Dès et Pierre Grosz, le nouveau « Touche pas à ma soeur ! », adapté de J.J. Cale, « Le Camionneur rêveur », extrait de « La Fugue du petit poucet », réalisé en 1986 pour la Croix-Rouge française, deux titres de « Viens chez moi, j’habite chez une copine », « Zénobe », issu du conte musical de Patrick Dewez « Natacha. Mambo à Buenos Aires », en 1990, un « La petite vague qui avait le mal de mer », de 1989 (un conte pour enfants de onze minutes !), et un nouveau « Fanny de la Sorgue ».
Le troisième cadeau est le plus impressionnant : « Renaud chante Brassens » (« les chansons poétiques… et souvent gaillardes »), c’est tout un album de vingt-trois chansons de Georges Brassens que Renaud a enregistré à la maison en juin de cette année. On sait depuis longtemps que Renaud est un hyper fan du grand Georges. Son frère Thierry a écrit une biographie autorisée sur Brassens, et Renaud a lui-même sculpté le profil de Brassens qui sert de plaque commémorative sur la maison de Brassens à Paris. Renaud était évidemment de l’équipée « Chantons Brassens » (un double disque Flarenasch qui, en 1992, avait réuni Cabrel, Souchon, Hardy, Le Forestier, etc.). L’idée de Renaud avec ses interprétations est de rendre le plus humble et respectueux des hommages avec des arrangements délicats proches des originaux. À l’accordéon, on retrouve son pote Jean-Louis Roques, à la contrebasse, Yves Torchinsky, tandis que les guitaristes Manu Galvin et François Ovide jouent sur la guitare Favino de Georges Brassens qui leur fut aimablement prêtée par un ami bienveillant. Les plus célèbres chansons de Brassens se retrouvent ainsi ressuscitées dans une interprétation actuelle, la voix de Renaud n’étant en rien proche de celle de Brassens. Une manière unique et intéressante de convaincre les nouvelles générations de la grandeur d’un musicien pas qu’un peu oublié par les radios des années 90.
Avec tout ça, c’est un habit de lumière dont Renaud est aujourd’hui revêtu. Il est loin le titi parisien, réduit au foulard, au blouson de cuir, aux mobs et à la zone. Renaud, c’est un grand de la chanson française reconnu pour ses talents d’auteur. Cette intégrale fêtant vingt ans de carrière est là pour le confirmer. Renaud a aujourd’hui 43 ans et bêtes sont ceux qui n’y ont jamais cru. Un très joli livret souvenir de soixante pages accompagne les dix-huit disques de l’intégrale. On y trouve un paquet de photos d’enfance et une très longue interview où Renaud commente son parcours. Ainsi juge-t-il ce qu’il fait depuis 1975 :
Ce que je fais ? De la chanson, des chansons, de la musique, de la poésie, de l’écriture, du verbe, des mots, du vent, quoi !… J’exprime des idées et des sentiments humains et je me sers de la musique pour diffuser cette expression. Étant donné que je fais ça, et que ça, depuis maintenant vingt ans, on peut considérer que c’est mon truc…
Renaud évoque aussi les années 1968-1974 où il officiait déjà par ci par là. De la rue au café de la Gare et à la pizza du Marais, ses ennuis avec la profession, les médias, les amitiés trahies… Avec son franc-parler habituel, Renaud nous rappelle que son langage n’a jamais été autre que celui de la franchise et de l’honnêteté… Voilà ce qui résume son onéreuse intégrale. « Joie d’offrir » et « joie de recevoir » est-il indiqué» sur le carton qui sert d’emballage à chaque disque. En tout cas, si vous recevez cette boîte sous le sapin, sachez que vous pouvez être heureux d’être à ce point aimé…
THIERRY COLJON
(1) Renaud : « L’Intégrale » (distributeur de 18 disques Virgin) mérite une étude comparative des prix, histoire de protéger les consommateurs : son prix de vente va de 11.385 (Fnac) à 15.995 F (Virgin Mégastore). Sacrée différence de 4.610 F !
Sources : Le Soir et le HLM des Fans de Renaud