N° 156, 21 juin 1995
Envoyé spécial chez moi
La rue dont je vous parlais la semaine dernière, vous l’aviez compris, coupe en deux le cimetière du Montparnasse. Salopards d’urbanistes, enfoirés d’automobilistes, même pas foutus de laisser les morts reposer en paix ! Cette semaine j’ai franchi les grilles de cette oasis de pierres et de fleur pour aller dire bonjour aux oiseaux d’abord, à Gainsbourg ensuite.
Le beau Serge est toujours très fleuri, on lui dépose toujours de tendres et naïves poésies protégées des intempéries par des chemises plastifiées pas trop esthétiques, des petits mots griffonnés à la hâte et épinglés sur les feuilles des bouquets, « Attends-nous, on arrive ! Signé Lilou », des paquets de gitanes et des tickets de métro. Les clopes, bien sûr, c’est parce qu’il en consommait pas mal, les tickets de métro j’imagine que c’est à cause du « Poinçonneur des Lilas ». Aurait-il été, comme moi, plus accroc aux coquillettes qu’à la nicotine que sa tombe eût probablement été garnie de paquets de nouilles, eût-il chanté « La Mer » qu’on lui eût déposé des pâtés de sables ou des seaux d’eau salée. Soyons vigilants de notre vivant, que nos passions ne se transforment pas plus tard en autant de symboliques et dérisoires offrandes… Je dis pas ça pour moi, moi, d’abord, je mourirai jamais, je trouve juste que tant qu’à déposer quelque chose sur les pierres tombales, les fleurs c’est encore ce qu’on a trouvé de plus joli, depuis des siècles et un peu partout. Y a même des fleurs qui sèchent moins vite que certaines larmes…
Pas loin de Gainsbarre, me baladant dans les allées, je suis tombé par le plus grand des hasards sur Reiser, dont la dernière demeure est pour le moins spartiate. Pas de pierre, pas de marbre, pas de croix (ouf…), une sinistre dalle en béton, son nom sur une pauvre plaque, sans prénom, sans date, sans regrets éternels, et juste un pot de lierre dont les feuilles grisonnant de poussière s’étiolent sous le soleil pâlot de ce mois de juin dégueulasse.
Demain je reviendrai, je lui apporterai une boîte de crayons de couleur. Il se dessinera les fleurs qu’il préfère.
Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HML des fans de Renaud