« Mon coeur y est, plus mes jambes »

Sud Ouest

Le 24 juin 2002
Par Yannick Delneste

INTERVIEW

Son dernier disque « Boucan d’enfer » fait un carton. « Je reviens de loin » affirme le chanteur, après sept ans d’un lourd silence. Rencontre.

Recueilli par Yannick Delneste

Renaud. « J’en ai marre d’être en première ligne, d’en prendre plein la gueule… »
PHOTO ALAIN DUPLANTIER

Sept ans et demi sans nouvelles discographiques. Où étiez-vous ?

Je reviens de loin, du fond du trou. J’ai digéré mon chagrin d’amour. Je ne bois plus, mais je fume encore. J’ai trouvé un équilibre. Même si j’ai du mal à croire aux histoires d’amour. J’ai cru le mien indestructible et puis il a fini par exploser. On ne va pas non plus faire pleurer dans les chaumières : il n’y a rien de dandy non plus à pochtroner dans un bistrot parisien. Mais bon je n’étais pas bien dans ma tête, dans mon corps. Je raconte tout ça dans ce nouvel album.

Difficile de regarder ailleurs quand on est mal ?

J’avais effectivement un peu baissé les bras. Le monde extérieur m’intéressait infiniment moins. Je pensais plus qu’à ma petite peau, ma petite vie, à mes petits chagrins. Maintenant, ça revient.

Vous comprenez qu’une misère affective ou sociale puisse entraîner des comportements irresponsables ?

Le vote FN ? Les soucis de mal-vivre ne justifient pas de se vautrer dans la fange de l’extrême droite. Ma désespérance, c’est de voir d’où viennent les votes de Le Pen : essentiellement du Parti communiste. La classe ouvrière, qui a porté le drapeau rouge pendant des années, enfile la chemise brune. C’est à gerber.

Qu’est-ce qui s’est passé ?

L’époque. Le désespoir. La gauche qui ne s’intéresse plus aux petites gens, qui ne fait plus que de l’économique, du productivisme. Au lieu d’être la voix des sans-parole. Mitterrand me manque dans la configuration politique actuelle. Le raz-de-marée de la droite me fait doucement rigoler : dans cinq ans, ils vont être balayés. Cela a été un coup de bambou de voir que le parti xénophobe, raciste et antisémite soit devant la gauche le 21 avril. Moi-même je n’ai pas fait front, j’ai voté vert. Est-ce que j’aurais dû voter socialo ?

La réaction dans les rues vous a-t-elle rassuré ?

Mon coeur y est toujours mais plus mes jambes. A 50 balais, on n’a plus envie de défiler derrière des banderoles et des drapeaux. Je suis revenu un peu de tout ça.

En 1984, vous chantiez déjà que vous étiez « Fatigué » de tout ça, que vous n’étiez plus qu’un « amoureux de la terre et de l’eau ». Toujours vrai ?

C’est une chanson que je chanterais encore plus volontiers aujourd’hui. Avec plus encore de conviction peut-être. Je reste un amoureux de la nature : tout n’est pas foutu. Il reste quelques coins dans le Cantal (un coin où l’on a le moins voté FN !), le Vaucluse, au Québec où il y a encore de vraies saisons, un vrai rythme naturel de vie. Et des gens chaleureux, très humains.

Ici, je me lève le matin, j’ai que du bonheur. Je lis la presse et je n’ai plus que du malheur. La marche du monde, l’injustice, la misère, l’oppression m’affectent toujours autant, me désespèrent. Je ne suis pas plus en colère aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Pas moins. Mais j’ai moins envie d’exprimer cette colère. Marre d’être en première ligne, de prendre des coups dans la gueule. Place aux jeunes. Place à Noir Désir, Manu Chao, Akhenaton, Tryo, Bénabar, les Têtes Raides. J’aime bien ATTAC, j’aime bien José Bové. Je veux bien payer sa caution.

Toujours sensible aux questions corse et basque ?

Je suis attaché aux peuples sans Etat, aux peuples insoumis, rebelles au jacobinisme parisien centralisateur qui voudrait tout uniformiser, nier les langues, les peuples. J’ai fait de nombreux concerts pour les écoles basques, pour le regroupement des prisonniers politiques au Pays Basque. J’en ferai encore si on me le demande. J’ai passé mes vacances l’été dernier à Saint-Jean-de-Luz. Les gens y ont quelque chose de plus, de mieux.

Comment devrait-on faire de la politique aujourd’hui ?

Pas comme la gauche l’a fait dernièrement, en tout cas. La classe ouvrière n’existe plus : il y a plus qu’une classe moyenne, puis des exclus. Ça fait vingt-cinq ans que je chante « Hexagone » et Le Pen fait 20 % à la présidentielle. On se demande alors si on a servi à quelque chose. Ça me met un petit peu en rogne. La nature est le seul combat valable aujourd’hui. Les écologistes sont essentiels dans notre paysage politique. Ils sont vraiment à gauche, eux.

50 ans, c’est dur ?

C’était dur à 30, c’était dur à 40 et c’est dur à 50. L’idéal, c’est d’arriver à 100. Toutes ces années qui passent me rapprochent du but à atteindre. Mais c’est un but angoissant. J’ai plus que jamais la nostalgie de l’enfance envolée. J’ai eu une enfance douce comme le miel, entouré de mes frères et sœurs et de parents formidables. Pas friquée, mais belle enfance. On ne s’en remet jamais.

  

Source : Le HLM des fans de Renaud