Ajouté par Michel Kemper le 30 avril 2021.
– Vous faites quoi dans la chanson ?
– Interprète…
– Argh !
Allez savoir pourquoi, l’air du temps semble bouder les interprètes, comme s’ils n’étaient pas des artistes, des vrais. Car, pour susciter l’estime, la reconnaissance, il faut désormais être auteur-compositeur-interprète. Les trois sinon rien, même si vous n’êtes pas bon sur un des trois registres (parfois, dans aucun des trois !), si vous voulez être considéré.
Édith Piaf, Serge Reggiani, Gérard Pierron, Julien Clerc, Francesca Solleville, Cora Vaucaire, Yves Uzureau, Sheila, Michel Sardou, Natasha Bezriche, Johnny Hallyday même (et surtout)…la liste est longue et probante de ceux qui ne sont qu’interprètes ou le sont majoritairement. Mais rien n’y fait : n’être qu’interprète fait de vous un sous-chanteur, un artiste de seconde main. Que dire alors des repreneurs !?
Romain Didier est-il moins bon quand il interprète son pote Leprest ?
Faut-il, pour être acteur, avoir écrit la pièce et les dialogues ? Non. Semble-t-il que même Molière n’a pas écrit les pièces qu’ils signait. Mais ce qui est normal au théâtre ou au cinoche fait vilain sur les scènes de variété.
J’ai en tête plein d’exemples (des noms, nom de non, Kemper !) de prétendus artistes qui feraient mieux de sous-traiter leurs textes à de vrais paroliers (de la trempe des Delanoé, Grosz, Philippe ou Roda-Gil…), leurs chansons en seraient un peu moins stupides, moins indigestes.
L’interprète – je pense particulièrement au repreneur – a une fonction sociale de premier plan. Il porte paroles, fait vivre tout ou partie d’une œuvre, ajoute son talent, sa personnalité à des pièces existantes, suggère parfois, par la seul force de son interprétation, d’autres pistes, une autre lecture. Souvenez-vous de Catherine Ribeiro reprenant Piaf, Ferrat, Manset ou Ferré. De Valérie Mishler ou de Jean-Michel Piton habitant, chacun à leur manière, les textes de Dimey. De Contrebrassens, Yves Uzureau, Maxime Le Forestier, Christina Rosmini et de tant d’autres qui chaque fois ravivent avec bonheur les textes du père Brassens. D’Éric Frasiak ou d’Olivier Trévidy dans les pas de Béranger. François Béranger lui-même dans ceux de Félix Leclerc… Même Renard avec Renaud…
Non, vraiment, dans cette époque si fade, si médiocre, nous avons besoin d’interprètes, de repreneurs. De ces talents qui savent mieux que quiconque (re)donner du relief aux mots. Et nous changent tant d’une production chanson assez plate, convenue, formatée, aseptisée (dans laquelle j’ai de plus en plus de mal à me retrouver), où chaque artiste ressemble à l’autre, où la plupart des disques me semble briller par leur inconsistance.
J’insiste : que l’on reconnaisse le talent et l’indispensabilité des interprètes. Vite !
Cora Vaucaire « Trois petites notes de musique » :
Johnny Hallyday « Oh ma jolie Sarah » :
Contrebrassens « La princesse et le croque-notes » :
Source : NosEnchanteurs