Nique ta bonne mère !

Charlie Hebdo

N° 168, 6 septembre 1995

Envoyé spécial chez moi

À Notre-Dame-de-la-Garde, j’ai prié pour mon autoradio

– Dis donc, ma fille, puisque nous allons faire un petit viron à Marseille cet après-midi, que dirais-tu de monter jusqu’à Notre-Dame-de-la-Garde ? Moi j’allumerai un cierge pour le match de l’OM de demain, toi tu pourras dire à tes copines que tu as visité un chef-d’œuvre d’architecture pâtissière de la secte des papistes.

– Bof… Moi, tu sais, les églises… C’est que des tas de pierres… me répond Lolita avec l’enthousiasme qui caractérise les ados dès qu’il s’agit de visiter autre chose qu’un McDonald’s.

– D’abord c’est pas une église ! je rétorque, c’est… Heu… Une cathédrale ! Peut-être même une basilique !

– Ah bon ? Et c’est quoi la différence entre une église, une cathédrale et une basilique ? me demande-t-elle, un brin perverse.

– Bon ! Laisse tomber ! On n’y va pas ! m’énervè-je alors.

– Ouah l’autre, eh ! Y sait même pas la différence entre une église et une cathédrale et pis une basilique ! Ouah la honte !

Il m’en faut plus pour perdre la face devant ma fille. Je lui sors alors une théorie inventée sur-le-champ, en une fraction de seconde, théorie qui, par la suite, tout bien réfléchi, ne me paraît pas complètement absurde :

– Une église, c’est là qu’officient les prêtres. Dans une basilique c’est un évêque et dans une cathédrale un archevêque. Et toc !

– Ouais ? T’es sûr ? Fais gaffe, je demande à maman…

Mais maman savait pas non plus, alors j’ai dit que c’était pas la peine de chercher plus, que j’étais sûr que ma réponse était bonne, la preuve, je venais juste de l’inventer. Pour me féliciter de cette intelligence exceptionnelle qui me permet de deviner les secrets de l’univers même lorsque je n’en connais pas la réponse, ma famille a accepté de m’accompagner. Nous voilà donc partis.

Avec mes béquilles et mon pied plâtré jusqu’à le genou, j’ai eu un peu de mal à crapahuter jusqu’au parvis qu’un bon millier de marches séparaient du parking où nous avions garé la voiture, pas loin d’une petite bande de kakous des quartiers Nord, désœuvrés, nonchalamment appuyés à de pitoyables motocyclettes, et qui semblaient envisager l’avenir, le regard tourné vers la Méditerranée, en se demandant s’ils plongeaient tout de suite ou maintenant.

Je levai la tête pour mater un peu sous la robe d’or de la Vierge, là-haut, au sommet du clocher rococo, dominant la cité phocéenne de ce mépris hautain caractérisant les mamans des fils de Dieu. « Si elle a pas de culotte, je la balance à son fils ! » pensai-je.

– Pas mal, les fringues de la Bonne Mère, hein ? me dit alors ma femme. Ah, c’est pas toi qui m’offrirais des robes comme ça ! Y’a au moins dix kilos d’or là-dessus ! Un peu vulgoss’ mais bon…

– Nouveau riche, tu veux dire ! Femme de charpentier parvenu, signes ostentatoires d’arrivisme forcené ! Avec l’or des pauvres en plus… Décidément je déteste cette religion !

– Toutes les religions, on déteste ! intervient ma fille, anticléricale et athée comme pas deux. Et pis tous les escaliers ! Dis, papa, c’est encore haut la béatitude ?

– On est arrivés ! Tu vas voir, à l’intérieur c’est vachement joli ! Y’a plein dc maquettes de bateaux accrochées partout. C’est les offrandes des marins qui ont survécu à des tempêtes ou des naufrages. Pis y a des écharpes et des fanions de l’OM, c’est les offrandes des supporteurs qui ont survécu à Bernard Tapie.

– On a le droit d’accrocher ce qu’on veut ? Tu vas accrocher quoi, toi, comme offrande ? Une canette de Kronenbourg pour avoir survécu à ta muflée de l’autre soir ?

– Écoute ma fille, je lui dis, déjà si en redescendant on s’est pas fait taxer l’autoradio ça sera un petit miracle. Faut pas trop en demander non plus…

On a visité, c’était joli. Putain, y z’ont du pognon chez les papistes ! La maison du Seigneur, excusez-moi, c’est pas du Leroy Merlin ! J’imagine qu’il faut bien ça pour faire rêver les cons. Tu vas pas faire croire à un monde meilleur à de pauvres esprits en les recevant dans un bouge. Quoique… Les universités d’été du Front national de Toulon, ça se tient dans un palais des sports à la con et les cons marchent quand même…

En redescendant j’ai essayé de renoncer à mes béquilles, des fois que je sois devenu le premier protestant non-croyant-non-pratiquant au monde à bénéficier d’une guérison miraculeuse du péroné par la Mère honnie, mais rien du tout.

En me ramassant au pied de l’escalier, ma femme m’a heureusement remonté le moral :

– Tu vois bien qu’y a un bon Dieu ! Je crois pas qu’on se soit fait piquer l’autoradio !

– Comment ça, tu crois pas ?

– Ben je crois pas, parce que la voiture est plus là…

  

Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HML des fans de Renaud