N° 169, 13 septembre 1995
Envoyé spécial chez moi
Une chose est sûre : c’est ceux qui financent la bombe qui la prendront sur la gueule…
Au début des années 80, alors adhérant à Greenpeace France, j’allais souvent avec ma fille au bureau parisien de l’organisation, rue de la Bûcherie. Dès cette époque ma Lolita tomba amoureuse des dauphins, des baleines, des bébés phoques et de Greenpeace, dont elle est, quinze ans après, toujours éprise, comment ne pas aimer l’intelligence et la liberté ? En 83, après avoir participé avec eux à l’occupation des bureaux de Japan Air Lines sur les Champs-Élysées afin de manifester contre la reprise de la chasse à la baleine par le Japon, opération qui me conduisit quelques heures derrière les barreaux d’un commissariat parisien – ce que je ne souhaite à quiconque est allergique comme moi à la crasse, la bêtise et les chaussettes à clous -, j’avais pensé plus efficace et, je vous avoue, moins pénible, d’utiliser mon célébrissime prénom à leur profit en organisant une soirée au Zénith au bénéfice de l’organisation. Quelques centaines de milliers de francs (1) avaient alors grossi les caisses de l’organisation, lui permettant de monter de spectaculaires opérations médiatico-protestataire, opérations au terme desquelles d’autres militants que moi s’en allèrent goûter à la paille humide des cachots.
En 85, j’avais un petit peu coupé les ponts avec Greenpeace France.
Mes copains Omar, Katia, Marlène Kanas et Jacky Bonnemains, qui dirigeaient le bureau parisien de l’organisation et dont j’avais fait la connaissance quelques années auparavant, s’étaient fait, quelques mois plus tôt, virer manu militari par une autre équipe, des gens probablement tout aussi efficaces mais dont le comportement pour le moins sauvage m’avait semblé peu représentatif du militantisme écolo-pacifiste qu’ils prétendaient incarner. Ces batailles de chiffonnier, ces luttes intestines pour le pouvoir au sein de la seule organisation qui, depuis les « Louveteaux d’Alésia-Plaisance » en 1958, avait réussi à m’encarter, m’avaient alors proprement écœuré. J’avais suivi mes potes qui, quelque temps plus tard, fondaient l’Association Robin des Bois. Continuant, malgré tout, à suivre de loin en loin mais avec intérêt et admiration les actions spectaculaires des « commandos » de Greenpeace qui, un peu partout sur la planète, risquaient leur peau pour assurer à nos enfants et petits-enfants un avenir sans plomb, sans atome, sans CFC, sans mercure, un futur avec baleines, océans, rivières et couche d’ozone intacts, je ne désespérais pas d’un jour adhérer de nouveau à cette formidable organisation, ce que je fis d’ailleurs, à leur demande, fin 92.
Le 11 juillet 1985, c’est dans Le Matin de Paris, quotidien socialisant disparu avec le socialisme au milieu des années quatre-vingt, que j’ai appris l’attentat contre le Rainbow-Warrior. Ça faisait huit petites lignes en bas de page. L’info m’avait atterré, sa brièveté m’avait scandalisé. Dans les jours qui avaient suivi, l’événement avait, fort heureusement, pris de l’ampleur sous la plume de nos journaleux, quelques semaines plus tard il faisait la une de tous les journaux. L’affaire étant finalement tirée au clair, les responsabilités finalement établies, les poseurs de mines enchristés (2), j’étais alors persuadé que tout ce que notre bel Hexagone comptait d’écologistes, d’anars, de gauchistes ou, plus simplement, de bons citoyens dont la tête fourmille d’idées rebelles au terrorisme d’État, à la violence militaire, au nucléaire et aux services secrets minables allait massivement adhérer au gentil David-Greenpeace afin d’exprimer son dégoût du Goliath-militaro-industriel-assassin. Rien du tout ! Ce fut le contraire qui se produisit ! Greenpeace ne se releva point d’une campagne de presse dégueulasse basée, comme aujourd’hui, sur les prétendus financements occultes dont elle bénéficierait, sur la délirante affirmation selon laquelle le KGB l’infiltrerait, la manipulerait, la dirigerait. L’État français et ses journaleux à la botte réussirent à totalement discréditer l’organisation écologiste au point que ses bureaux parisiens durent fermer, faute de crédits et de combattants. De longues années lui furent nécessaires avant de reconstituer un tissu de militants et de dirigeants assez balèzes pour relancer l’aventure. Aujourd’hui, l’organisation est à l’avant-garde de la protestation contre la reprise des essais nucléaires et fait de nouveau la une des médias. De nouveau la violence militaire se déchaîne, le matériel de radio et de télécommunication des navires de Greenpeace est détruit (preuve, une fois de plus, que l’information est une arme redoutée du pouvoir lorsqu’elle est dans d’autres mains que celles de TF1), de nouveau nos journaleux font semblant de s’interroger sur l’origine des fonds de Greenpeace, sur l’intégrité de ses dirigeants, sur ses motivations politiques. Des articles fielleux de la vraie presse de droite à ceux, très mitigés, équivoques, culs-serrés, de la fausse presse de gauche, il se dégage un mépris et une méfiance à l’égard du mouvement qui révèle de façon significative l’inquiétude que sa nouvelle puissance suscite chez ces enfoirés de pisse-copies à la solde de l’État et du lobby militaro-nucléaire. Car ne nous y trompons pas, c’est bien l’efficacité, l’intelligence, l’honnêteté, l’indépendance politique et financière, et surtout la formidable sympathie dont Greenpeace et ses cinq millions de membres bénéficient auprès de la véritable opinion publique (pas celle représentée dans les sondages…) qui font la force du mouvement et effraient tous les pouvoirs, le politique, l’économique, le militaire et le journalistique.
Depuis quelques mois, Greenpeace France a vu son nombre d’adhérents augmenter considérablement mais reste, malgré tout, quasiment lanterne rouge des pays d’Europe avec moins de cinquante mille membres alors qu’ils sont cinq cent soixante-dix mille en Allemagne, cinq cent quatre-vingt mille en Hollande, deux cent quatre-vingt mille en Angleterre, soixante mille en Espagne, et, tenez-vous bien, soixante mille en Belgique et cent quarante-huit mille en Suisse ! Qu’attendent donc les dizaines de milliers de signataires de la pétition pour la dissolution du Front nazional pour continuer les bonnes résolutions de cette rentrée scolaire en adhérant à Greenpeace ? Je sais bien que le Gros Borgne et ses idées c’est le Tchernobyl de la démocratie, mais le plutonium, l’uranium, le chlore, les pluies acides, les boues rouges, les nitrates et les CFC, c’est pas un peu la peste brune de l’environnement ?
Faite comme vous voulez, moi, le bénéfice du gala de Toulon contre le FN, je le file à Greenpeace.
1. Je vous raconte ça pour éclairer la lanterne de Jacques Lanzmann qui, il y’a quelques semaines, dans VSD, s’interrogeait sur la provenance des fonds de Greenpeace. Mais cela ne convaincra peut être pas, il est capable d’en déduire que je suis du KGB…
2. … et Mitterrand pas inquiété ! L’affaire du Watergate avait obligé Nixon à démissionner pour bien moins que ça…
Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HML des fans de Renaud