Sherbrooke, samedi 16 juin 2007
Arts et spectacles
Le monde change, les pères aussi. C’eux qui écrivent des chansons n’y échappent pas. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à faire comme Renaud et à vivre leur paternité sous les feux de la rampe, à travers des chansons qui parlent de leurs enfants.
ALEXANDRE VIGNEAULT
MONTRÉAL — Father On the Go est l’une des chansons les plus connues de Kevin Parent. Elle a même été sacrée «Chanson de l’année» au gala de l’ADISQ de 1997. Le grand Gaspésien a 25 ans à l’époque. Son album Pigeon d’argile, lancé l’année précédente, connaît un succès phénoménal. Les filles sont nombreuses à craquer pour lui. Or, que fait-il? Il promet l’amour éternel… à son jeune fils.
S’afficher comme un père aimant n’a pas nui à Kevin Parent. «Ç’a contribué à son charme», pense François Blain, chroniqueur et recherchiste à Macadam Tribus. Autre temps, autres moeurs. Rares sont les papas chanteurs qui auraient osé une telle chose il y a une vingtaine d’années. À la fin des années 1980, l’existence du fils d’Alain Lapointe, alors claviériste du trio Les B.B., avait même été tenue secrète par l’entourage du groupe.
Oui, bien sûr, Renaud a chanté la paternité sous toutes ses coutures, faisant de sa petite Lolita l’héroïne d’une foule de chansons, de Morgane de toi à C’est quand qu’on va où? en passant par Marchand de cailloux. Oui, il y a Oh! Petits enfants de Rivard. «Mais chanter la paternité c’était faire preuve d’un sentimentalisme inattendu il n’y a pas si longtemps, alors qu’aujourd’hui, c’est presque un passage obligé.»
Le «nouveau père» devant lequel se pâment les magazines féminins ne fait pas que changer les couches de son nouveau-né. Il se veut présent au quotidien et, surtout, cherche à établir un dialogue avec son enfant. Kevin Parent le confirme Father On the Go est né «du désir de communiquer» avec son fils de moins d’un an. «Tu veux lui dire des choses, lui faire comprendre des choses, ajoute-t-il, mais à un âge où il ne comprend pas.»
«Je pense que c’est générationnel, dit Daniel Boucher. Des pères qui chouchoutent leurs enfants, changent leurs couches et les embrassent, il y en a quand même plus qu’avant. Il y a beaucoup de couples séparés aussi. On est en train de comprendre qu’un père peut s’occuper d’un enfant aussi bien qu’une maman et ces chansons-là sont le reflet de ça.»
Un sujet qui s’impose
Un enfant, ça prend tellement de place dans une vie qu’il est naturel de le voir apparaître dans l’univers chansonnier de son géniteur. Kevin Parent ne s’est d’ailleurs jamais demandé si sa relation avec son fils était un sujet de chanson. «Je m’en câlissais! Quand j’ai écrit ça, j’avais 20 ans, dit-il. Je n’existais pas comme artiste, je n’avais pas de contrat de disque ni rien.»
Daniel Boucher s’est aussi laissé guider par son instinct. Petit miel, gravée sur La patente, évoque l’attente de l’enfant à naître. Après sa venue au monde et à la suite de sa séparation d’avec la mère il a écrit Mon soleil. «J’ai écrit ça parce que c’est ce que je vivais, explique-t-il. Je ne me suis pas dit qu’il fallait que j’écrive sur lui.»
«Il est plus facile, d’écrire des chansons pour son enfant quand celui-ci est en bas âge, juge Richard Séguin. C’est un moment plein de promesses. Tu peux lui souhaiter plein de choses et lui signaler que tu es présent.» C’est d’ailleurs une naissance qui l’a incité à écrire Si loin si près, chanson adressée à sa fille… adulte qu’on retrouve sur Lettres ouvertes, son plus récent disque.
«Ma fille venait d’accoucher, dit-il. J’avais l’impression de lui donner des mots pour qu’elle les chante à la sienne. En même temps, je voulais parler d’elle.
«Chanter la paternité c’était faire preuve d’un sentimentalisme inattendu il n’y a pas si longtemps, alors qu’aujourd’hui, c’est presque un passage obligé.»
«On est parent pour la vie, poursuit-il, et s’il y a une chose qui demeure toujours vraie, c’est qu’on s’en fait toujours pour son enfant. Peu importe son âge. Tu te préoccupes de son bien-être, tu te demandes si elle est heureuse, si son chum est correct avec elle…» C’est ce lien invisible et insécable qu’il a voulu mettre en valeur dans Si loin si près et qu’il résume avec la phrase qui en a été la bougie d’allumage: «Si tu es bien, je suis bien. Si tu es mal, je suis mal.»
Le piège de l’émotivité
Sébastien Plante, chanteur des Respectables, lui, n’a pas encore osé écrire de chanson pour ses jumelles et leur mère. Il craint de ne pas être «à la hauteur» de ses sentiments. Son appréhension met en lumière l’un des plus grandes difficultés à laquelle sont confrontés les papas chansonniers: trouver les mots et le ton justes. Les bons sentiments ne font pas nécessairement de bonnes chansons.
Submergé par l’émotion, des papas émus ont publié des chansons qui auraient mieux fait de demeurer du domaine privé. Souvent parce qu’elles semblent insignifiantes une fois sorties du contexte familial. Sébastien Plante affirme disposer d’une «super collection» de berceuses écrites avec sa blonde, mais il ne va pas les publier sur un disque des Respectables.
«Où faut-il établir la frontière entre la note qu’on va écrire à sa fille pour son anniversaire et un texte de chanson auquel d’autres pourront s’identifier? se demande Richard Séguin. Ton jugement peut être faussé par ton émotivité. Il est facile de se laisser séduire par l’idée d’écrire pour son enfant et ça peut mener à tous les débordements.»
Charles Dubé reconnaît qu’il a dû s’arrêter pour réfléchir à ce qu’il voulait vraiment exprimer dans sa chanson Mon étoile, où il s’attarde aux petits bonheurs quotidiens vécus avec l’un ou l’autre de ses fils. «C’est une chanson que j’affectionne particulièrement, reconnaît-il. Et les garçons sont contents qu’elle soit sur le disque.»
Il en a écrit une autre pour ses fils. Et il ne l’intégrera ni à son répertoire ni à l’un de ses disques. «Elle s’appelle Les petits pieds ronds et c’est une chanson folklorique, une espèce de rigodon. Quand je la fais avec mes gars, ça danse, dit-il. Mais elle fait partie de ces choses qui sont plus familiales.» La place du père, avant d’être sur scène, est bien sûr à la maison. (La Presse)
Source : La Tribune