Petites colères

Charlie Hebdo

N° 134, 18 janvier 1995

Envoyé spécial chez moi

On dit : « À la droite de Dieu ». À gauche, y a Gaillot et la poubelle

Pour vendre son journal, comme moi mes chansons, Véronique Mortaigne participait dimanche dernier à l’émission de Jacques Martin « Le monde est à vous ». Son journal, justement c’est Le Monde. « Le quotidien de tous les pouvoirs », comme l’appelaient les situationnistes. Avec elle, Bertrand Poirot-Delpech et un autre dont j’ai oublié le nom mais avec une tête rigolote. Tous les trois, dans le cadre de la journée spéciale de France 2 consacrée (avec nos sous) à la promotion de la nouvelle formule du Monde, participaient (piteusement d’ailleurs) au jeu de Jacques Martin, jeu habituellement réservé à des candidats anonymes. Jacques Martin présenta la dame en question comme s’occupant de la rubrique « Chanson » du Monde, sujet infiniment respectable, crut-il bon d’ajouter. « Oh oui ! » conclut-elle. Quelques instants plus tard, lorsque je fis mon apparition sur la scène pour chanter, sous les bravos d’un public fort chaleureux, la seule personne qui resta ostensiblement les bras croisés fut, je vous le donne en mille : cette crétine d’idiote de nulle.

Que le manque de respect le plus élémentaire à l’égard d’un artiste quel qu’il soit vienne de cette personne dont la fonction même l’obligerait presque à en faire preuve plus que quiconque, cela n’a pas choqué le chanteur qui en a vu d’autres. Juste le monsieur qui sait ce qu’est la pollitesse. Mais, heureusement, y a une justice. Madame Véronique Mortaigne n’est pas que mal élevée. En plus elle n’est pas très jolie. (Je sais, il faut pas attaquer les gens sur leur physique. Je recommencerai plus.)

Monseigneur Gaillot l’a bien cherché ! Non, mais ! Qu’est-c’que c’est que ce cureton qui se mêle des droits de l’homme, de prévention du sida par la promotion du préservatif, qui milite contre l’apartheid et la dette du tiers-monde ? Oh, t’es protestant ou quoi ? Et qu’est-c’que tu croyais en allant dire l’Évangile sous les caméras de « Frou-Frou » ? Que Madame Mortaigne allait t’applaudir ? (Là, j’ai pas dit qu’elle était moche.)

C’est incroyable l’ironie méprisante, voire la franche répulsion que peut inspirer (dans les médias, tout au moins) le sympathique Pascal Sevran. Et le concert d’étonnement, pour ne pas dire de lazzi, que m’a valu, de la part de ses confrères, mon choix de démarrer la promo de mon anouveau disque par son émission. Sont-ce ses amitiés élyséennes, ses goûts musicaux (et autres) qui lui valent tant d’indignité ? Y a quasiment que le Vatican qui n’a rien dit. Et la moche du Monde… (Merde, ça m’a échappé.)

Marc Kravetz, journaliste à « Libé », écrit dans le supplément magazine de ce grand journal de gauche que le terrorisme d’État, ça n’existe pas. Sait-il que depuis le guerre d’Algérie, le plus meurtrier des groupes terroristes ayant sévi sur notre territoire s’appelle le G.A.L. (une cinquantaine d’attentats, 25 morts au Pays Basque entre 1983 et 1987), sait-il que, selon les aveux récents de deux des tueurs, ces fondus étaient dirigés et financés par le ministère de l’Intérieur espagnol et ce, avec la complicité de policiers français ? Ben oui, il le sait, mais comme il travaille dans un journal de gauche il ne peut pas l’écrire, ça ferait de la peine à Filipe Gonzalez, président de gauche aussi. C’est marrant comme y a des jours j’aurais presque envie d’être de droite. Pis des jours où je me demande quelle « couverture médiatique » aurait cette affaire de terrorisme si les victimes avaient été des Parisiens ou des Limougeots et le commanditaire le ministère de l’Intérieur libyen. M’enfin… C’était que des Basques.

Pascal Sevran est peut-être basque ?

Monseigneur Gaillot un terroriste ?

L’horrible du Monde est peut-être de gauche ?

(Tant pis : elle avait qu’à être polie.)

  

Source : HML des fans de Renaud