Pilotes et prêcheurs du désert

L’Humanité

Sports

Publié le 3 janvier 2005

«Cinq cents connards sur la ligne de départ, cinq cents blaireaux sur leurs motos, ça fait un max de blairs aux portes du désert, un paquet d’enfoirés au vent du Ténéré. » C’est Renaud Séchan, chanteur qualifié par ses soins d’« énervant », qui entonnait ce couplet anti-Dakar sur l’un de ces albums en 1991.

Treize ans plus tard, que reste-t-il de cette charge alors que la 27e édition du rallye-raid aborde aujourd’hui l’Afrique (1) après un départ en Espagne ce week-end ? L’inflation guette côté concurrents. Autos comme motos, ils sont largement plus de 500 « c… » cette année.

Avec 698 engagés (232 motos, 166 autos, 70 camions et 230 véhicules d’assistance), le record absolu de participation a même été battu. Autant dire que la controverse autour de l’utilité du Dakar ne bouscule pas complètement les concurrents de cette édition 2005. Pour eux, l’épreuve reste une « aventure humaine, une expérience » et pas « cet indécent étalage de luxe au pays de la pauvreté absolue » décrit par exemple par le Mouvement critique pour le sport.

Le genre de sentence qui fait bondir Alain Duclos, pilote moto franco-malien : « C’est un débat de salon parisien. Ce sont des gens qui se permettent de penser pour les Africains. Dans la rue à Paris, vous avez les mêmes contrastes entre le smicard et le milliardaire en Rolls, ça ne choque pourtant personne. »

Conducteur de travaux dans le civil

Engagé cette année sur son quatrième Dakar, Duclos, conducteur de travaux dans le civil, se définit comme « un pur produit de la coopération, l’alliance d’un enseignant français et d’une Malienne ». Tout cela se passait en Côte d’Ivoire où Alain Duclos a grandi jusqu’à l’âge de dix-sept ans. Largement le temps pour le rallye de passer un jour sur le pas de sa porte et de lui laisser une belle histoire en héritage : « À l’époque, les concurrents ne dormaient pas sur le bivouac, ils étaient hébergés chez l’habitant. Ma famille a accueilli un motard, Raymond Loizeaux. Notre rencontre a bouleversé ma vie, c’est lui qui m’a transmis sa passion du rallye. »

Neuvième à quelques encablures de l’arrivée en 2003, le pilote de l’équipe KTM-Toni-Togo ne rêve cette fois que de l’arrivée au lac Rose de Dakar le 16 janvier prochain. Là-bas, il sera peut-être le premier pilote noir à décrocher une place dans les dix premiers. Une satisfaction sportive et rien d’autre. De toute façon, les concurrents africains engagés sur le rallye se comptent sur les doigts des deux mains. Alors, Duclos clame : « Je ne suis pas un porte-drapeau, le Dakar, c’est d’abord un défi personnel. »

Le challenge n’est pas le même pour Jean-Charles Lavergne, pilote auto de l’équipage numéro 453 et « Africain de coeur ». Il roule d’abord pour les autres. Il explique : « Au-delà du désir de participer au Dakar, nous voulons aider une association, les Enfants du Sahara à équiper en matériel informatique des écoles dans le désert algérien. » Au total, 200 000 euros doivent être consacrés à l’opération. Une école de Biskra a déjà été équipée et connectée au Web.

Patron d’une société spécialisée dans l’industrie pétrolière qui travaille beaucoup avec l’Afrique, Jean-Charles Lavergne conçoit son expérience sur le Dakar comme un juste retour des choses. Il dit : « Aider les Africains me tient à coeur, parce que lorsqu’on travaille en Afrique, on se rend vite compte qu’on est souvent obligé d’employer là-bas des expatriés simplement parce que les « locaux » ne maîtrisent pas l’informatique. Ces ordinateurs que nous amenons aux enfants des écoles du Sahara doivent leur permettre de se cultiver, de s’ouvrir au monde grâce à l’Internet. »

En attendant, accompagné de Sylvain Dupriez, son copilote, responsable du service après-vente de Mercedes en Algérie, Lavergne s’engage en néophyte sur le rallye. « Un défi physique et une aventure humaine », dit-il en faisant foin de toutes les considérations philosophiques qui entourent l’épreuve : « La plus grosse indécence en Afrique, ce sont ces États qui collectionnent les Mercedes dans leurs garages et ne s’en servent pas (…). Les Africains sont heureux, je crois, de notre passage. Qu’on vienne les voir, c’est un signe de confiance. En temps normal, ce continent est toujours mis à l’écart. Lorsqu’on est au bivouac, on est au contact de la population, on n’est pas dans des cinq étoiles, on peut parler, échanger avec les gens. »

UN RÊVE DE GOSSE QUI SE RÉALISE

Quand il était gosse en Algérie, Sofiane Megueni ne ratait lui non plus aucun bivouac. Il s’en souvient encore : « Quand le Dakar passait encore à Alger, je ne ratais aucun passage de la caravane. Ari Vatanen, Stéphane Peterhansel, jamais, je n’aurais pensé être un jour dans la même course qu’eux. » Pourtant, cet Algérien de trente-quatre ans fait partie en 2005 des nombreux nouveaux venus sur l’événement organisé par la société mère du Tour de France.

Soutenu par une grosse société agricole algérienne, Sofiane avec son frère Mustapha compte bien jouer les prêcheurs du désert. « Mon objectif, c’est d’aider l’Algérie à se défaire des clichés. On a été isolé pendant dix ans, tout le monde nous évitait. Lors du rallye de Tunisie, le drapeau algérien sur notre voiture a étonné pas mal de monde, beaucoup étaient heureux de nous revoir et nous confiaient leur impatience de retourner chez nous. »

Frédéric Sugnot

(1) Après avoir traversé l’Espagne de Barcelone à Grenade, le rallye quitte aujourd’hui la capitale marocaine Rabat et s’enfonce vers Agadir toujours au Maroc, la porte du Sud.

  

Source : L’Humanité