Portrait Renaud : Scrupule, fragilité, force

Politis

Le 30 septembre 1993

Portrait d’un homme en pleine lumière, un après-midi d’arrière-saison

Il était vêtu et coiffé comme quelqu’un qui ne s’est certainement pas regardé dans la glace avant le rendez-vous. On ne ferait pas attention à lui, dans la rue. Tous les chanteurs ne sont pas comme ça.

C’est la fin d’un après-midi d’arrière-saison, à Montparnasse, chez Renaud. Il semble craintif, mais ce qu’il craint, on dirait, c’est surtout de dire des conneries. Il parle bas et le petit magnétophone tourne bravement, aspirant éperdument le fil ininterrompu des phrases murmurées de plus en plus, à mesure que le jour tombe. La lenteur du débit est prudente, la fatigue d’une journée entière d’interview fait le reste. Le petit magnéto, demain, restituera, de la dernière demi-heure de la rencontre, un crachement continu où flotteront des syllabes perdues : Renaud engloutit, à la fin du jour, par le monde et les questions.

On lira dans d’autres journaux, ou on ne lira pas, que Renaud passe beaucoup de temps à se justifier. Il a même dû récuser une accusation d’antisémitisme ! Ce fragile est un battant, alors il marche sur des œufs qui sont des braises. Mais il y va crânement, sans tricher.

Une petite fille débarque de son école, perturbe un instant la longue explication monocorde, puis s’échappe sur un « bisou ! » où le point d’exclamation est beau comme un mouvement d’enfant. Elle rapportera plus tard un plateau de gâteaux secs et de jus d’orange. « Mais, si je mange ça, je n’aurai plus faim tout à l’heure », dit-il. Il faut relever ce trait anodin qui met en valeur le désir éducatif du père, ainsi qu’une certaine conception du repas pris en famille, à la bonne heure. Renaud est un homme d’ordre, probablement.

Le papier journal peut-il rendre le ton de la voix, les hésitations, les mimiques, tout ce qui, en plus des mots eux-mêmes, signale l’honnêteté intellectuelle ? Donnons acte, ici, à Renaud, de son application, ses hésitations, ses demi-sourires, tout ce qui fait que vous aurez confiance. Vous croirez voir, dans ce bureau tapissé de milliers de bandes dessinées et de centaines de figurines, l’ancien ado sous les traits du chanteur célèbre. Cette conformité à l’image vous rassurera. En réalité, vous avez devant vous un chanteur sûr de lui, un comédien modeste et un citoyen inquiet. Vous essayez de réunir sous la même casquette blonde tout ce monde et le gosse de famille nombreuse (moitié famille ouvrière du nord, moitié famille protestante d’intellectuels des Cévennes, six enfants). Ça donnera cet homme-là, fragile mais volontaire. S’il est tourmenté, le personnage n’est pas divisé en lui-même.

Renaud n’a pas choisi la facilité : l’image du chanteur fragile serait confortable s’il ne la confrontait sans cesse à sa volonté d’être un citoyen vivant. Comme on a connu quelques anciens braves mecs qui sont devenus des rampeurs du show-biz et dont l’âme a disparu à force de se dégonfler, on va rassurer nos lecteurs : le petit Renaud est vivant. Tout va bien.

Jacques Chalonnes

  

Source : Le HLM des Fans de Renaud