Premier rôle dans Germinal, Renaud au charbon

Le Journal de Montréal

SAMEDI 16 OCTOBRE 1993

(par le journaliste énervant…)

Il avait des cheveux jaunes et n’avait pas mauvaise mine, le chanteur énervant. Maintenant l’visage pâle, qui épatait les galeries, est allé au charbon s’enfariner la gueule, se noircir l’bout du blair dans un film de Berri. L’avait dit, y a dix ans dans une chanson pas bête : « Vingt ans au charbon, c’est un peu minant. Pour goutter d’l’usine y s’est fait parigot. Dans son bleu d’travail y m’faisait rêver. Faut dire qu’j’étais jeune, j’savais pas encore. J’pensais que l’turbin c’était un bienfait. Bienfait pour ma gueule, surtout c’est la mort. »

C’est Gainsbourg qui l’a dit, la chanson c’t’un art mineur destiné aux mineurs. Alors Renaud l’a pris au mot, et s’est fait charbonnier dans le rôle de l’Emile Lantier. C’t’un roman de Zola qui l’a emmené là-bas dans le nord de la France, sous des tonnes de carvi, sous des montagnes de gravats.

Y voulait pas le chanteur jouer à faire l’acteur, s’est même fait tirer un peu les dents, mais l’occasion était belle de r’nouer avec le métier, le métier qu’il avait pratiqué quand il avait pas quatre ans. C’était dans un film de son oncl’Edmond, Edmond Séchan c’est son blaze, et celui de Renaud ; le film s’appelait « Ballon rouge », et ça lui avait donné vraiment l’goût. L’gout d’faire du cinoche l’a traîné jusqu’à ce qu’il fête ses 20 piges. Puis Renaud a chanté ses rengaines pendant un autr’ vingt ans…

Alors le marchand de cailloux s’est fait marchand de charbon. Son rôle dans Germinal, c’pas trop banal : c’est l’histoire d’un mec, un mec pas mal instruit, y doit haranguer les foules, inciter les mineurs à briser les patrons, les cons !

Le combat de Lantier

En interviouve, Renaud cause pas comme ses chansons ; c’pas ma faute si c’pas tout à fait pareillement l’même son…

« Le combat des gars comme Lantier n’a pas été vain. Les premières grèves, même réprimées dans le sang, ont été utiles. Et pourtant, on ne peut faire qu’un constat d’échec : il y a plus d’esclave aujourd’hui dans le monde qu’à l’époque où l’esclavagisme a été aboli. Il faut voir aussi que les conditions de travail des mineurs de Germinal sont encore celles d’aujourd’hui pour les mineurs de Bolivie, de Roumanie ou d’Afrique du Sud, où il y a plus d’un millier de morts par année dans les galeries. »

Le tango de l’révolte, Renaud y connaît très bien ça. A 16 ans, y collait des affiches pour les maoïstes chinois. Aujourd’hui sur son blouson, y a la gueule de Che, du Che Guevara ; ça va de soi…

« Quand on lutte pas, on perd à tous les coups. Ce que j’ai ressenti comme une injustice, ce n’est pas l’échec du communisme, mais le fait que les pays de l’Est ont dévoyé des idées magnifiques. Après le consensus a été que l’avenir résidait logiquement dans le libéralisme. On voit ce que ça donne avec des pays qui n’y sont pas préparés : la Pologne, par exemple. »

C’qui est injuste, c’est que la Doudou, dans son auto-tamponneuse elle s’en fout. Et Renaud s’dit parfois, qu’il aurait dû rester dans l’parti des oiseaux…

La galère, c’est duraille…

Renaud, quand y chante, il est vach’ment fort, c’est lui le Boss, le Springsteen d’l’Hexagone, et y s’lève un peu tard.

Mais voilà au cinoche y avait un pompe-la-sueur pour le faire bosser, c’est pas le pied ! Le chanteur, il a trouvé ça pas mal dur, il a dit Germinal, c’est Germinator, il a rajouté Claude Berri c’est Saddam. Là y a eu tort…

« Je m’étais tellement trouvé mauvais lorsque je me suis vu pour la première fois que je me suis dit : je vais prémunir contre d’éventuelles critiques en portant le blâme sur Berri, en rappelant que je n’avais pas à l’origine, voulu faire ce film. C’était maladroit et presque malhonnête. Cela dit, il y a eu beaucoup d’exagération. »

De fait, Renaud dans le rôle de Lantier, il est pas mal, pas mal entier…

Bien sûr, quelques fois y a l’air de Thierry La Fronde qu’aurait son collant à l’envers, mais globalement il est vraiment très coulant.

Cela dit, un tournage, c’est pas du mille-feuilles, Renaud en convient, y préfère ses beuglantes. Ça rime pas, c’est pas grave, la vie non plus.

« C’est très chiant un tournage, je préfère six mois de tournée à six mois de tournage. Surtout qu’avec ce film, pour mes débuts, c’est comme si j’avais trois films dans un. Moi qui suis un fainéant, j’ai trouvé ça duraille. Dans la chanson, y a personne qui m’dirige et j’ai pas comme là, à assumer tout : le film, la polémique du sujet, Zola, Berri et moi. »

Maintenant si y retourne à sa guitoune pour bêcher un aut’disque, dans un avenir prochain. Renaud dit pas non, de remettre ça pour Villon.

C’t’une idée de Berri. Y lui a dit : « Petit, tu d’vrais jouer la vie du poète-bandit ». C’pas certain, c’t’assez loin, mais ça se pourrait bien qu’un jour ça accouche. J’en sais rien…

Entre-temps, Renaud y vient d’faire un album. Un album de goualantes, des chansons vraiment du nord. Des chansons de mineurs, ça s’appelle Renaud cante el’Nord. C’t’un drôle de titre c’t’en patois, en chtimi, comme on dit en Picardie.

« Ça raconte la vie quotidienne des mineurs dans les corons. C’est quand même rigolard que pour la première fois des chansons en patois squattent le Top-50 ».

Y faisait beau ce jour-là, on r’gardait la fenêtre. Du côté de sa maison, là-bas dans l’Outremont. Renaud m’disait encore qu’y en voulait un peu, quand même, à Assouline, qu’y a écrit dans son bouquin qu’il avait accepté le rôle pour le piquer à Bruel. C’était une blague qu’y avait faite à la téloche du samedi, mais l’biographe avait pas trop bien compris. C’est dommage. (Cf.: Germinal, l’aventure d’un film, Pierre Assouline, Ed. Fayard).

Ben voilà, faut qu’on s’quitte, l’interviouve est finie. C’est un peu comme le jour quand il succède à la nuit. C’est dommage.

  

Source : Le Journal de Montréal