PREMIER SPECTACLE DU ZÉNITH
Renaud, la chanson nature
LE MONDE | 21.01.1984 à 00h00 • Mis à jour le 21.01.1984 à 00h00 |
CLAUDE FLÉOUTER
Le chanteur Renaud remplit depuis trois jours le Zénith, la nouvelle salle de spectacle au parc de La Villette (le Monde du 14 janvier). Il le fait avec panache, sans forcer pour autant un personnage timide, tendre et plein d’humilité.
Il donne un des tons les plus justes de la chanson française avec des ballades et des complaintes exemplaires, des faits divers saisis dans les journaux, des histoires vécues, des coups de gueule et des cris d’amour, des textes solidement construits et de belles mélodies, un style direct et le sens de l’humour, de la parodie.
Surprenante aventure que celle de Renaud en évolution continue depuis dix ans. Pas un accroc depuis le premier album (Hexagone). Pas un doute, pour nous, depuis le succès public de Laisse béton.
Renaud est né à la chanson au mois de mai 1968. Il était alors au lycée et sa première chanson (Crève, salope), écrite spontanément au milieu des événements est reprise par tous les lycéens qui ont une guitare. ! D’autres refrains suivront. Renaud compose beaucoup.
Après l’abandon des études et divers petits métiers, il fait la manche dans la cour du Café de la gare où l’acoustique est superbe. C’est là qu’il sera découvert et engagé par Polydor. Il se comportera d’abord en dilettante avant de se laisser porter par une vague irrésistible.
Renaud est tout autre chose qu’une vulgaire étiquette de show-business. Le temps s’est d’ailleurs arrangé pour multiplier les diverses images du chanteur.
L’anarchiste libertaire (Société, tu m’auras), le loubard qui ne se fait pas d’illusion, le » zonard » près d’une HLM, blême, chantant en argot, en verlan des chroniques de paumés dans les banlieues, le » glandeur qui refuse l’armée pour des raisons humanitaires » et chante Le déserteur le jeune homme que la mer a pris et qui va aux quatre vents » foutre un peu le boxon « , qui voyage avec équipage, femme et enfant et descend dans les ports, dans les endroits un peu rejetés qui sentent le travail, la sueur et le mazout.
Anarchiste, Renaud l’est par amour de la liberté et parce qu’il se méfie des gens au pouvoir mais il n’est pas » je m’enfoutiste. Ca, c’est une manière d’être conservateur « , précise-t-il. Je ne dis pas : » Voter, c’est choisir son maître « . J’ai le coeur à gauche et je ne veux surtout pas faire partie des déçus du socialisme « .
Au début, Renaud qui avait découvert Bruant à quinze ans, empruntait la panoplie de Gavroche, foulard rouge, casquette et pantalon à carreaux et les chansons avaient un peu une allure de western de banlieue. Aujourd’hui, Renaud est » nature » et malgré son infinie pudeur, il esquisse, de son propre aveu, une sorte d’autoportrait dans une chanson comme Manu :
» Eh ! Manu rentre chez toi
Y’a des larmes plein ta bière
Le bistrot va fermer
Pi tu gonfles la taulière
J’croyais qu’un mec en cuir
Ça pouvait pas t’arriver
J’pensais même que souffrir
J’oubliais qu’tes tatouages
Et ta lame de couteau
C’est surtout un blindage
Pour ton coeur d’artichaut. «
Au Zénith, c’est un public où les générations se mêlent qui vient voir Renaud. La mise en scène est efficace avec un dispositif de lumières très sophistiqué capable de transformer le plateau en un bateau, une salle de bal musette ou un manège de Luna Park. Quinze musiciens entourent le chanteur et certaines associations de son – par exemple l’accordéon et les violons – sont d’heureuses réussites. Quelques gags très courts et bien venus illustrent un concert de près de deux heures et demie sans entracte où Renaud chante Chanson pour Pierrot, Manu, Mon beauf’, Le Père Noël noir, Dès que le vent soufflera, Morgane de toi, Le Déserteur…
Le Zénith quant à lui, a réussi son examen de passage : l’acoustique est bonne, la visibilité correcte et les sièges sont relativement confortables.
Source : Le Monde