N° 161, 26 juillet 1995
Envoyé spécial chez moi
Te goure pas, Duteil, demande pas la grâce de Jacques Médecin
Avec Tonton, comme on était potes, des fois je lui écrivais quand je me sentais totalement désarmé devant une injustice que, du haut de son trône, lui seul, pensais-je, pouvait réparer. Il a jamais rien réparer mais il me répondait toujours très gentiment. Ou il me faisait répondre par un sous-fifre, gentiment aussi. Ou il m’envoyait à sa femme, à la fondation France Liberté. Pour la libération d’Otelo de Carvalho ou d’Abraham Serfaty, pour celle de Jean- Philippe Casabonne ou d’Éric Pétetin, combien de fois lui ai-je pris la tête avec mes courriers indignés, le sommant d’user de son international prestige pour faire plier ici Mário Soares, Hassan II et Felipe González, ou d’user là de son droit de grâce pour notre Apache de la vallée d’Aspe enchristé.
Comment je vais faire, maintenant, avec Chirac? M’en fous, j’vais écrire à Yves Duteil. Hé ! Collègue ! T’es pote avec lui, toi, faut qu’t’ailles au charbon ! Tu vas me faire le plaisir d’aller le secouer un peu ! Tu lui rappelles qu’outre quelques milliers de prisonniers anonymes et innocents qui croupissent probablement dans tous les cachots de tous les États du monde, et ce, dans les dictatures comme dans les démocraties (1) (prisonniers dont j’ose espérer que des milliers de gentils citoyens s’efforcent chaque jour et par tous les moyens d’obtenir la libération), notre concitoyen Éric Pétetin n’en finit pas de s’étioler dans sa prison de Pau, condamné à trois mois ferme pour bris d’essuie-glaces. N’est-ce pas toi qui, dans ta chanson « Le Mur de la prison d’en face », affirmais avoir « le cœur un peu serré d’être du bon côté, du côté des autos qui passent… » ? Tu peux pas refuser une si belle occasion de te desserrer le cœur. Tu prends ta plume d’oie sur ton écritoire et tu rédiges à ton pote une jolie bafouille, gentille, bien tournée, papier à lettres à l’en-tête de ta mairie, ça fait plus classe, ou peut-être de ta maison de disques, ça impressionne aussi… T’as pas d’idée ? Tu sais pas comment formuler ? Vas-y, je te dicte : « Monsieur le Président, je vous fais une lettre pour implorer la grâce d’Éric Pétetin… » Pour la suite, tu te débrouilles, tu le félicites pour la reprise des essais nucléaires ou quelque chose comme ça, histoire de lui montrer que, nonobstant cette grâce que tu lui mendies, tu regrettes pas d’avoir fait campagne pour lui…
Si ça se trouve, t’auras même pas à faire semblant, si ça se trouve, tu regrettes vraiment pas… Mais non, j’rigole !
1. Deux exemples au hasard : Mumia Abu-Jamal, journaliste, militant des droits civiques aux États-Unis, ex-membre des Black Panthers, condamné à mort pour un crime qu’il n’a pas commis, victime d’une machination judiciaire et policière. Son exécution est prévue pour mi-août. Rassurez-vous, Duteil va intervenir auprès de Chirac qui interviendra auprès de Clinton pour empêcher cet assassinat politique…
Riad al-Turk, avocat. fondateur du parti communiste syrien. Opposant au régime de Damas, incarnant la gauche laïque et démocratique, réclamant la levée de l’état d’urgence, la restauration de la démocratie et le respect des droits de l’homme, fut, lui arrêté à Damas en 1980, retenu et totalement isolé, sans jugement ni inculpation depuis quinze ans ! Amnesty International. Le Parlement européen. la Commission des droits de l’homme de l’ONU et de nombreuses personnalités et associations ont en vain, depuis des années, exigé sa libération. Si Yves Duteil veut rien faire, j’écrirai à Line Renaud…
Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HML des fans de Renaud