Printemps de Bourges 2003 : La belle saison

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Nicolas Tittley | Photo : Sonar |

MUSIQUE

97 %. En conférence de presse-bilan, Daniel Colling, le grand patron du Printemps de Bourges, a répété, presque incrédule, cet impressionnant taux de fréquentation à tous les journalistes venus l’entendre. Ainsi, après des années difficiles tant au plan financier qu’artistique, le doyen des festivals de rock en France semble bel et bien revenu en selle. Les salles étaient pleines, les organisateurs, aux anges et le public aussi, du moins si l’on se fie aux chiffres et aux sourires croisés sur place.

Même le beau temps était de la partie pour les six jours que durait l’événement, chose rarissime dans le chef-lieu du Cher à cette période de l’année. La semaine avait pourtant débuté sous des auspices glauques : peu de temps après l’annonce de la mort de la grande Nina Simone, Massive Attack, l’une des têtes d’affiche de cette 27e édition du Printemps, avait assommé son public avec un assaut visuel à la Matrix (un gigantesque et impressionnant écran à diodes qui vomissait des cascades binaires, les cours de la Bourse, la météo, le budget de la Défense américaine), et Sinéad O’Connor, pourtant annoncée, avait été remplacée par la plus terne Dot Allison à titre de voix féminine du groupe. Outre ce show désincarné, la majorité des adeptes de l’électronique n’ont pas démérité dans cette édition pourtant très rock. Le planant duo Death in Vegas, entouré d’un quintette de musiciens rock, a baigné la salle du palais d’Auron d’effluves psychédéliques, Adrian Sherwood a fait honneur à sa réputation de pionnier du dub en Angleterre, les Belges 2 Many DJ’s ont étourdi leur public par leur set pour victimes du syndrome du déficit d’attention.

Parmi les annulations de dernière minute (ConsoleArchiveGlassjaw, Tiga, etc.), EL-P, l’un des artistes phares de l’excellent label hip-hop new-yorkais Def Jux, ne fut pas regretté bien longtemps, puisque son confrère de label Murs, accompagné du D.J. de Cannibal OX, a donné une sérieuse leçon de hip-hop au public français, qui avait pourtant de quoi pavaner après la très puissante performance des locaux de La Rumeur. Un groupe solide qui marche dans les traces des plus grands du genre. Les Français ont d’ailleurs brillé sur tous les fronts cette année. Le concert réunissant Émilie Simon (moins frêle qu’on pourrait le croire sur scène, et à surveiller lors de son passage aux Francos de Montréal), Mathieu Boogaerts et Keren Ann fut l’un des premiers à afficher complet; Renaud a fait salle comble avec un public volontaire, ce qui lui a permis de ne pas trop s’user la voix en laissant la moitié des couplets à ses fans; Mickey 3D a confirmé son statut de superstar; Dionysos, celui de meilleur groupe live en France; Vincent Delerm a continué sur sa belle lancée, même jumelé aux étranges Jackie O Motherfucker; les Wampas ont prouvé que le punk est loin d’être mort et Mass Hysteria a porté bien haut le flambeau métal. Les révélations hexagonales? Le dub quasi métal de Lab, la fiesta de Spook and the Guay, Toulousains issus d’un croisement de Zebda et de la Mano Negra, et le Jim Murple Memorial avec son chaleureux mélange rocksteady-r’n’b.

En l’absence de Tiga, Éloi Brunelle, représentant québécois au volet Découvertes, était le seul à porter nos couleurs, ce qu’il a fait avec brio lors d’un set tech-house original et bien reçu. De brefs coups d’œil et d’oreille aux concerts du trompettiste Nils Petter Molvaer (dans la magnifique cathédrale de Bourges) et du bizarroïde Pascal Comelade (entouré de ses instruments jouets) nous ont prouvé que le Printemps, bien que moins audacieux que les Transmusicales de Rennes, sait aussi faire place à l’innovation et à l’audace. On a manqué Placebo, l’un des groupes rock les plus populaires en France, mais on a apprécié le cold-rock roide d’Interpol (mal placé sous le gigantesque chapiteau), et pour rien au monde on n’aurait raté Beck, en solo et en acoustique, libre comme l’air, amusant et un rien bouffon, à l’image de ce pétillant Printemps.

  

Source : Voir.ca