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Billet
par Sabrina Champenois
publié le 20 septembre 2024 à 19h21
Le chanteur de 72 ans a témoigné son «soutien total» à Gisèle Pelicot. Une initiative rare de la part d’une personnalité masculine, même si une tribune signée collectivement et publiée ce week-end dans «Libération» espère changer la donne.
Il semble tellement «out» depuis des années, avec un état de forme physique et psychologique aux airs de grand 8, qu’on n’aurait jamais parié sur lui : ce jeudi 19 septembre, le chanteur Renaud a apporté son «soutien total» à Gisèle Pelicot, que son mari a droguée et donnée à violer à des dizaines d’hommes, à Mazan, dans le Vaucluse. Il l’a fait sur Instagram, en postant le texte suivant, alors que le procès des accusés se déroule en ce moment à Avignon : «Je ne sais pas si c’est juste de prendre la parole en tant qu’homme aujourd’hui et j’espère que le faire ne portera pas préjudice à cette cause, mais je souhaite apporter mon soutien total ainsi que mon admiration à Gisèle Pelicot dont la vie me bouleverse. J’espère de tout mon cœur que le courage d’avoir demandé des audiences publiques fera enfin bouger cette société patriarcale, et nous les mecs, quant aux violences faites aux femmes et aux enfants. Il serait temps aussi que le gouvernement prenne ses responsabilités et s’engage concrètement dans cette lutte.»
Où sont les autres ?
Délicatesse (de s’interroger sur la pertinence de sa démarche), hommage, solidarité inconditionnelle, constat d’un enjeu systémique (le patriarcat) et de la nécessité que ses semblables embraient aussi pour changer la donne, appel à un engagement étatique : on ne trouve rien à redire. Tout l’inverse d’autres expressions publiques de Renaud, qui a semblé complètement à côté de la plaque lors de sa dernière tournée, et qui, avant, a notamment soutenu le chantre de l’hydroxychloroquine pendant l’épidémie de Covid («Quand je pense au brave Dr Raoult /Conchié par des confrères jaloux /Par des pontes, des sommités /Qui ont les moules de perdre du blé») avant de se faire vacciner sous la pression de sa fille Lolita.
Là, pour le coup, Renaud ouvre une voie, donne le tempo. Car où sont les autres ? Quelle autre personnalité publique masculine, notamment du show-business, s’est aussi clairement exprimée depuis le début du procès des viols de Mazan, le 2 septembre ? Bon, il y a bien eu Vianney, mais d’une façon qui lui a valu un tel retour de boomerang qu’il en a carrément clos son compte sur X. Dans son post, le 15 septembre, le chanteur commentait la diffusion de la vidéo de l’arrestation de Dominique Pelicot dans un supermarché de Carpentras, pour avoir filmé sous la robe d’une femme : «Il y a ma chanson Beau-Papa (contraste absurde) qui passe dans le magasin quand il se fait attraper, et je ne sais pas quoi faire de cette info. Ah si, en profiter pour manifester tout mon soutien à Gisèle Pelicot, si courageuse et tellement digne. Respect infini Madame.» Ramener tout à soi et ne penser qu’accessoirement à la victime de ce procès relève au minimum de la balourdise.
Feuille de route
Vianney a néanmoins le mérite d’avoir réagi à cette affaire qui choque jusqu’à l’autre bout de la planète sans susciter pour autant la mobilisation générale. Plutôt la pétrification, chez les quidams comme les people. «Arrêtez de vous taire !» ont d’ailleurs exhorté les militantes et associations féministes en marge du procès, avec appel aux hommes à «prendre enfin leurs responsabilités» dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Certains l’ont fait. Le journaliste Karim Rissouli, le réalisateur et activiste du climat Cyril Dion, et le militant et thérapeute Morgan Noam. Le premier a déclaré dans l’émission C ce soir, qu’il anime sur France 5, avoir «mal au bide en tant qu’homme», et y voyant «le premier grand procès de la masculinité». Dans son sillage, le second a estimé, sur Instagram, que c’était «le moment de mettre la question du patriarcat sur la table». Le troisième est l’initiateur d’un appel aux «personnalités publiques masculines» et d’une feuille de route pour se joindre au mouvement féministe, être solidaires avec les victimes et non pas avec les agresseurs. Déjà forte de 200 signataires masculins, cette tribune sera publiée ce samedi par Libération.
Sera-ce le début d’un vrai mouvement de fond ? Il est tout aussi possible que l’initiative dope les tenants et tenantes du #NotAllMen (pas tous les hommes), qui tiennent à cantonner Dominique Pelicot et ses co-accusés dans la case «monstres» plutôt qu’acter leur vertigineuse banalité. L’immobilisme a au moins cet avantage qu’on évolue en terrain connu, bien commode. Mais de Rissouli à cette tribune en passant par Renaud qui, tout cabossé, 72 ans (la même génération que Pelicot), surgit pour dire qu’il faut «bouger», changer la donne, on veut croire qu’il se passe bien quelque chose.
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Source : Libération