Renaud, du 13 au 17 mars 1979
RENAUD choisira parmi les titres suivants :
Paroles et musique de RENAUD |
Hissé au sommet des hit-parades grâce à un « tube » largement diffusé par les médias, Renaud mérite mieux que le simple souvenir de ce fameux « Laisse béton ». Son talent ne se mesure pas à la seule aune de ce succès éphémère. Il a, en dix ans d’expériences, eu le temps de mûrir et de s’exercer sous diverses formes.
La phase préparatoire
En mal 68 d’abord, alors qu’adolescent il compose ses premières chansons dans la fièvre des événements avec, selon ses propres termes :
« Une spontanéité semblable à celle qui fait pousser les barricades et avec une naïveté comparable à celle qui les fait s’écrouler ».
Quand, ensuite, il renoue avec la tradition disparue des chanteurs de rues et interprète les plus beaux fleurons du répertoire populiste aux terrasses des cafés et dans les cours d’immeubles.
Enfin, sur les scènes de La Pizza du Marais, de la Veuve Pichard, de la banlieue et de la province où il chante ses propres œuvres. Celles que lui inspire l’univers des « escarpes » et des « marlous » et celles, d’un vocabulaire plus moderne, en prise directe sur la réalité contemporaine. Ainsi « Hexagone » dans lequel il adresse avec une verve iconoclaste un violent réquisitoire contre la médiocrité et les travers des Français.
Le folk urbain
Mais, l’univers que dépeint Renaud, c’est la ville. Et, plus précisément Paris et sa banlieue : près de la moitié des trente-cinq chansons qu’il a enregistrées à ce jour en témoignent Citadin, Renaud est l’interprète de ce qu’outre-Atlantique on appellerait sans doute le folk urbain.
C’est la ville, son béton et ses mythes, qu’il met en scène. Ainsi que ses émanations : la « zone » avec ses bandes de jeunes et un personnage central : le loubard. Qu’importe qu’il le soit lui-même ou pas. Le texte qui conclut désormais son spectacle apporte d’ailleurs à cet égard une réponse claire : Renaud démystifie son personnage. Mais il est certain en revanche qu’il s’identifie à l’univers du loubard. Il l’intègre, le ressent et le traduit. Non sans l’adapter à sa propre personnalité.
Une pseudo violence et une vraie tendresse
De ce fait, nombre de ses chansons doivent être entendues au second degré. Ainsi s’il chante la violence, est-ce la plupart du temps avec l’esquisse d’un sourire ou l’amorce d’un clin d’œil qui atténuent voire contredisent le propos. Au menaçant « Sors dehors si t’es un homme », Renaud s’empresse de répondre dans l’un de ses textes : « Moi, dans ces cas-là, je sors pas ». Et, quand il s’invente des « castagnes », c’est probablement pour mieux les railler et conjurer ainsi les démons d’une pseudo violence agressive et triomphante. Certes, pour les besoins de la cause, il n’hésite pas à puiser dans l’arsenal de la mythologie des loubards et au magasin des accessoires de leurs symboles. Il emprunte un système de valeurs qui lui est en partie étranger et qu’il tend en apparence à idéaliser. De même, il se forge un personnage bardé de cuir, cheveux décolorés et bras tatoués, dont les jambes arquées épousent parfaitement la forme d’une Harley. Enfin, il use d’un langage spécifique (argot ou verlan) qu’épice un accent qu’il se plaît à cultiver.
Mais sous ce camouflage, perce un être fragile et tendre dont la devise personnelle pourrait être : « Ni haine, ni arme, ni violence ». Sensible, sentimental et candide, ce Renaud-là s’affirme et s’épanouit entre autres dans « Pierrot », « J’ai la vie qui me pique les yeux » ou dans « Ma gonzesse », chanson dans laquelle on relève cette confidence : « Malgré le blouson clouté sur mes épaules de velours, j’aimerais bien parfois chanter autre chose que la zone… »
Une tonne de cafard…
Renaud promène sur le monde qui l’entoure un regard chargé de l’innocence et de la naïveté d’un enfant : « Dans ma tête j’ai quatorze ans », admet-il. Il n’est pas pour autant aveugle et ses chansons témoignent aussi d’un quotidien que ronge l’alcool de tous les désespoirs. Cédant à l’angoisse et au mal de vivre, il écrit d’une plume trempée dans l’encre de la déprime : « Au bistrot du temps qui passe, j’bois un verre à la terrasse, j’me dis qu’à l’école de l’angoisse, j’suis toujours le premier de la classe. Me racontez pas d’histoires, la vie c’est une tonne de cafard… » (« J’ai la vie qui me pique les yeux »). Chez lui, la réalité s’incarne aussi parfois dans un fait divers qui lui sert de prétexte à une parodie ou à un pamphlet. La chanson se nourrit alors de l’air du temps (« Dernier bal ») ou de l’actualité (« les Charognards »). Ce dernier texte, sorte de reportage chanté et chef-d’œuvre du genre, décrit en quelques couplets un véritable microcosme où se côtoient un boulanger raciste, un ancien para d’Indochine, un jeune blouson de cuir, une jeune fille qui n’a pas dix-sept ans, un « père béret basque » et « Monsieur blanc cassis ». Personnages stéréotypés, réduits à l’essentiel tant les traits en sont forcés. Mais ils n’en sont que plus probants. D’ailleurs, les chansons de Renaud adoptent souvent la forme d’une caricature et bon nombre d’entre elles supporteraient certainement d’être transcrites en bandes dessinées.
C’est au cœur, que Renaud s’adresse. Dans un langage simple, direct et vivant, pétri d’images et truffé d’expressions argotiques, qui irrigue des textes corrosifs et acides, grinçants et amers, drôles et parodiques, lyriques et tendres… Un cocktail d’humour, de gouaille, d’ironie et de dérision qu’il serait malhonnête de réduire à la plus simple expression d’un « tube » passager.
JACQUES ERWAN
Source : Théâtre de la Ville