Putain de Renaud

AlloMusic

Par Nicolas Roux

On dira ce qu’on voudra, il est quand même parfois extrêmement compliqué d’exprimer sa joie autrement que par une élocution grossière. Quand j’ai appris, par exemple, que pour le jour de Noël (oui, désormais le jour de Noël coïncidera avec une bonne nouvelle) sortait l’intégral de Renaud en vinyles, en coffret et en collector, je n’ai pas pu retenir un « putain ! ». Mon père déplorera sans doute mon manque de vocabulaire et ma belle-mère le fait que je m’exprime si vulgairement, mais je ne vois pas bien ce qu’il y a à rajouter. L’intégral de Renaud (putain) ! Un monument…

Je n’ai pas encore pu réunir les fonds nécessaires pour me le procurer (je comptais bien sur le fait que mes proches me l’offriraient sous le sapin, mais ils s’obstinent, conventionnels qu’ils sont, à vouloir maintenir le réveillon vers la fin du mois de décembre). Je me suis quand même renseigné. Donc, on retrouvera les pochettes originales, des albums jamais édités en galette noire, des titres inédits datant de la période Renaud chante des chansons « qui sont pas de lui, mais de tellement meilleur que lui et de tellement meilleur que tous, de Georges Brassens en l’occurrence ». Et, petit bonheur pour les amateurs, grand plaisir pour les fans, la discographie commentée et expliquée, album par album, par monsieur Renaud lui-même !

S’il y en a que cette nouvelle laisse un peu circonspects, c’est peut-être qu’ils ne mesurent pas bien la richesse de son œuvre. Comme je doute qu’ils aillent acheter cet objet (de) culte, moi qui, en 2000, ai fait courir une pétition pour que Renaud revienne à la chanson, je vais leur offrir ma discographie commentée de celui qui écrit par plaisir, compose par nécessité et chante par provocation. Une discographie sélective et tout à fait subjective, de mes trois albums (studios) préférés de celui qui écrit par plaisir, compose par nécessité et chante par provocation. Tout en haut de tout en haut je mets… C’est impossible de choisir. On ne peut pas jouer à autre chose ? Faire le onze type de l’OM de ces dix dernières années ? Bon d’accord, on parle musique…

Donc, au dessus de tous, je place « Marche à l’ombre ». Disque monumental dédié, avec un peu de démagogie, à Jacques Mesrine. Mon album préféré parce que c’est un disque colère. Renaud en a eu marre qu’on remette en cause sa sincérité et son authenticité, alors il a répondu en musique et ça donne Où c’est qu’j’ai mis mon flingue (« J’veux qu’mes chansons soient des caresses ou bien des poings dans la gueule ! À qui qu’ce soit que je m’agresse, j’veux vous remuer dans vos fauteuils… »). Il n’y a pas un morceau moins bon qu’un autre. Il sont tous meilleurs. À chaque fois que je passe à la suivante, je me dis que c’est ma chanson préférée. Parce que La Teigne quand même, ou parce que Baston quand même…

En deuz’, je pose « Putain de Camion ». Là, Renaud rentre d’Afrique du Sud où il a goûté à la dégueulasserie du monde et qu’il en revient avec un dégoût universel et une envie de vivre debout : ça respire dans toutes ses chansons. Mais ce que j’aime surtout, c’est son impudeur ; quand Renaud écrit sans avoir l’air de se rendre compte que des millions de personnes vont l’entendre. Qu’il chante son copain disparu, son infidélité ou sa fille, il leur envoie des lettres, et tout le monde les lit. Et ça donne Putain de Camion, Me Jette Pas et Il Pleut. Mieux, il s’assume poète, abandonnant sa grammaire habituelle, pour offrir un hommage à Doisneau. Ça s’appelle Rouge Gorge et c’est absolument fondamental.

Pour finir, je suis obligé de mettre « Marchand de Cailloux ». Je dis que je suis obligé parce que, c’est vrai, c’est un de mes disques préférés, mais les fans ne sont pas tous d’accord avec moi. C’est un peu là que certains pensent avoir perdu Renaud. Moi, je le suis encore sur ce terrain-là. Moins énervé par la colère, mais un peu plus désabusé par le désespoir. Je l’aime bien mélancolique, mon chanteur à bandana. Je l’aime bien solitaire, poète, grognon. Je l’imagine chercher l’inspiration, le col relevé, les yeux rentrés, les santiags dans le crachin, à penser à sa femme et à sa fille qui le sauveront de cette planète dont il n’y a rien à espérer. « Attention Lola, les rues sont piégées »… Et puis, ça a été le premier disque préféré de ma fille. Ce n’est pas rien.

Pour être tout à fait honnête, je vais vous livrer aussi les trois albums dont l’écoute n’est pas franchement indispensable. En fait, il n’y en a que deux, mais le premier est un double. On ne peut pas dire que « Rouge Sang » méritait autant de titres. Renaud a voulu retrouver sa plume engagée, sa plume amoureuse, mais ça ne sonne pas comme avant. Je sauve Elsa, mais vraiment juste parce que je suis magnanime. Et après, je me contenterai de citer le dernier opus de mon chanteur préféré. Celui où il reprend des chansons irlandaises. Je n’ai rien contre les Irlandais, ni contre leurs chansons, même traduites, mais la voix de Renaud était trop pire pour mes oreilles. Je n’ai pas pu écouter.

Tout le reste est essentiel, formidable, puissant, drôle, touchant, intelligent, sincère, « bien construit » selon Brassens, culte, définitif ou nécessaire. Putain…


 

Source : Le HLM des Fans de Renaud