N° 1337, 11 au 17 janvier 1986
Son père était prof, écrivait des livres pour la bibliothèque Rose et entraînait Renaud dans les rues où, aujourd’hui encore, entre deux escapades en mer, l’auteur de « Mistral gagnant », puise son inspiration.
Vous souvenez-vous du Mistral, une friandise à la mode dans les années 60 qu’on achetait dix francs de l’époque (aujourd’hui cela vaudrait sans doute cinquante centimes) en même temps que ses carambars. Un Mistral ? Rien à voir avec le vent, mais tout simplement une petite pochette de papier avec du sucre qu’on aspirait avec un bâtonnet de réglisse, ou, si l’on voulait le déguster en classe, avec une pointe bic (sans la cartouche d’encre…). En soulevant la languette au dos de la pochette, on pouvait savoir si le Mistral était « perdu » ou « gagnant ». Dans ce dernier cas on avait droit à un autre… Renaud s’est souvenu, lui, et son nouveau 33 tours a pour titre celui d’une de ses chansons, « Mistral gagnant ».
Apparemment l’auteur de « Laisse béton » ne s’est pas trompé de cible, c’est vraiment un Renaud gagnant. Jugez-en : livré chez disquaires le 29 novembre, il avait dépassé le 9 décembre, soit dix jours après, le seuil de trois cent mille exemplaires vendus et apparaissait déjà à la troisième place du « Top 20 », derrière Jean-Jacques Goldman, devant Jean Ferrat.
Le 33 tours pour l’Ethiopie
Disque de platine (déjà vendu à 50 00 exemplaires) en une semaine… Du jamais vu, et une bonne affaire pour sa nouvelle maison de disques Virgin qui lui avait signé quelques mois plus tôt le « contrat du siècle ». Et une belle consolation pour l’un des absents les plus surprenants du palmarès des Victoires de la Musique.
Car Renaud a l’habitude de vaincre. Prenez le Zénith, sujet de l’émission de ce soir sur TF1. En janvier 1984, pendant trois semaines et chaque soir, ils ont été trois mille huit cents à l’applaudir et à reprendre avec lui « Manu » ou « C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme ». A rendre jaloux, et ils sont nombreux dans le monde du spectacle, tous ceux qui ont mal ou peu rempli le Zénith. D’ailleurs, Renaud reprendra la mer du Zénith dès le 25 février et jusqu’au 23 mars 1986. La location est bien sûr déjà ouverte, et comme pour Goldman à Bercy, à la fin de l’année dernière, on s’y bouscule… Les affiches ne manquent pas de pittoresque avec « Renaud, le chetron sauvage », double jeu de mot sur les chevrons sauvages de Citroën et chetron qui en verlan signifie tronche.
Le secret de Renaud ? D’abord il n’a pas la grosse tête et si d’aventure cela lui arrivait, Dominique, sa femme, est là pour le ramener à bon port. Elle ne se contente d’ailleurs pas de vivre dans son ombre et d’être l’héroïne, notamment, de la chanson « En cloque ». Présidente de « Chanteurs sans frontière », elle a soutenu Renaud et tous ses amis chanteuses et chanteurs pour l’enregistrement de leur 33 tours, et c’est elle encore qui s’est occupé de Noël pour l’Éthiopie, une opération qui a permis de lutter encore contre la famine en vendant deux disques de platine aux enchères. De toutes façons chez Renaud, le « loubard » au cœur tendre, la famille passe par-dessus tout et elle lui porte bonheur. « Morgane de toi » (amoureux de toi), qu’il a dédié à sa petite Lolita, qui aura cinq ans cette année, a été l’un de ses plus grands succès, et quand on le rencontre, David, son frère jumeau, et Thierry ne sont pas loin.
Tous deux veillent sur Renaud et sa carrière, et Renaud est finalement l’un des chanteurs les mieux organisés, les photos et les articles, nous les devons à la diligence de « Mino Music » la société qu’il a fondée et qui produit ses spectacles. L’occasion de se souvenir que Renaud – qui n’oublie jamais l’accordéon dans ses chansons, même s’il s’en va les enregistrer aux Amériques, et n’omet jamais le langage de la rue et des bistrots – a été un vrai gamin de Paris. Quand il chante les « autos tampons », il les a connues, quand il parle des boums « Tristes à pleurer comme un sourire de clown ou la pluie sur l’été », il s’y est vraiment ennuyé… L’occasion aussi de parler de ceux à qui nous devons Renaud. Ses parents bien entendu.
Sous le signe du Taureau
Dans une librairie, allez donc aux rayons des livres d’enfants, et plus précisément à celui des livres de la collection Idéal-Bibliothèque avec « Luc et Martine font équipe » ou « Luc et Martine à la tour blanche » ou ceux de la bibliothèque Rose avec « La Cachette au fond des bois » ou « Trois cousins dans un moulin ».
Ils ont le parfum un peu désuet du temps où Rambo et Musclor n’avaient pas pris le pouvoir. Ils sont signés Olivier Séchan. Sé- chan, vous avez dit Séchan ? Eh oui, c’est le père de Renaud, qui a publié aussi dans la collection policière « Le Masque » et qui a été professeur de poésie grecque à la Sorbonne avec pour élèves Léopold Sédar Senghor et Georges Pompidou… Solange Séchan, elle, s’est consacrée à ses six enfants, dont les deux jumeaux David et Renaud, nés le 11 mai 1952, sous le signe du Taureau. « Elle est merveilleuse », dit Renaud quand il parle d’elle. Et de son père, lauréat du Prix des deux Magots, du Prix Cazes et du Prix du roman d’aventures, il dit : « Je l’ai toujours vu écrire ».
Olivier Séchan est peut-être à l’origine du talent d’auteur de Renaud qui, même s’il aime à partir avec son voilier sur toutes les mers du monde, se retrouve toujours dans ce Paris de son enfance où il puise son inspiration. « Je reviens par passion, dit-il, je ne veux pas vivre toute ma vie en mer, ce serait trop difficile de me couper de mes racines, de mes bistrots, de ma famille ». On le comprend et, à chaque fois, on l’attend, et tant pis si, sur son dernier disque, certains trouvent qu’il a eu la « dent dure » pour Margaret Thatcher… C’est ça aussi Renaud la fronde, l’éternel partisan de la chanson buissonnière…
Claude BARON
UN LIVRE TRES PRECIEUX
En attendant qu’il publie peut-être un jour ses souvenirs – et avec lui on peut être certain qu’ils seront intéressants – Renaud est le héros d’un livre qui s’intitule tout simplement « Renaud : dès que le vent soufflera », paru aux Éditions Pierre-Marcel Favre. Son auteur, Régis Lefèvre, un journaliste qui a été l’un des fans de Renaud dès la première heure ne se contente pas de raconter la vie du chanteur. Il essaie de comprendre et d’expliquer, mais sans tomber dans une analyse ardue, pourquoi Renaud « le gamin de Paris » en est arrivé là. Le tout illustré de photos inédites comme celles illustrant cette page et appartenant à la précieuse collection de David Séchan, le frère jumeau de Renaud, et agrémenté des textes des principales chansons de Renaud, mais pas encore celles de son nouveau 33 tours. Ce sera sans doute pour la prochaine édition de ce livre passionnant.
Source : Télé 7 Jours