N° 1, mars-avril 2004, pages 16 et 17
ta gueule !
ON T’AIMAIT BIEN, MAIS LÀ…
Les Ulis. 1980. J’ai 18 ans. Philippe Millet, fils de flic, me fait écouter « Marche À l’Ombre ». Coup de foudre. Depuis j’essaie de pardonner à Renaud ce qu’il est devenu. Son dernier album est venu à bout de ma compassion.
I – De l’Hexagone à la Révolution Nationale
« Moi j’aime encore les pissotières, j’aime encore l’odeur des poubelles. Je me parfume pas à l’oxygène, le gaz carbonique c’est mon hygiène. » (« Amoureux De Paname », 1975). Tout ça pour finir en répugnant réac blasé. Adorateur des rivières de France. La terre ne ment pas. Sevran le dit. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Mais, comme l’écrit Siné, c’est toujours des renégats qui le disent. Ça leur fait quoi, à tous les péquenots qu’il a sucés, de savoir que ce grand amoureux de la terre, de la mer, des baleines, des enfants et de l’eau, aura passé les vingt dernières années à essayer d’oublier la chienne qu’il devenait, à la Closerie des Lilas. Avant de rentrer chez lui, dans l’ancien appartement de Georges Hesse, le patron de Renault, exécuté par Action Directe ?
II – Les femmes, c’est mieux
« T’iras pas à l’école, j’t’apprendrai des gros mots. On jouera au football, on ira au bistrot. » (« Chanson Pour Pierrot », 1979). Renaud parle bien de ce qu’il n’a pas vécu. La grotesque « Morgane De Toi », et, derrière, toutes les trop nombreuses et ridicules chansons qu’il a consacrées à sa fille achèveront de nous le démontrer. Comme tous les cons qui chantent, il trouve évidemment que sa gamine, c’est ce qu’il a fait de mieux. Pourquoi ne pas s’être arrêté de chanter alors ? À moins que ce ne soit parce que Renaud s’est mis, pour le plus grand bonheur de sa maison de disques, à chanter pour les femmes, vraies consommatrices culturelles… « Chanson Pour Pierrot », évocation fantasmée de la naissance d’un petit garçon, manifestement destinée aux hommes = à peine un disque d’or. « Morgane De Toi », guimauve atrocement sentimentale, vulgaire et clippée par Gainsbourg (vases qui se cassent au ralenti et filles nues qui courent sur la plage) = 1 million d’albums. Les femmes achètent plus que les hommes. BHL ne fait pas un autre calcul.
III – L’ère des repentis
« C’est pas d’main qu’on me verra marcher avec les connards qui vont aux urnes… » (« Où c’est que j’Ai mis mon flingue ? » 1980). 1987, Renaud achète une page dans Libé, demandant à Tonton de pas laisser bé-ton… Prostitution du verlan. Inculture crasse lui faisant tenir Mitterrand pour un type cultivé (parce qu’il lisait Chardonne !). Mépris de l’étudiant 68-tard pour le prolo qui croit que le vote et le combat politique le regardent. Stigmatisation de l’anarchisme comme passage obligé dans le développement et la croissance de l’enflure; crise d’adolescence du bientôt adulte, qui se repentira, et passera à la caisse. Arthur démarre en animateur le plus con de la télé. Ardisson finit en sympa catho tolérant. La repentance est le point commun tous les dominants d’aujourd’hui.
IV – 1er prix de poésie Leader Price
« Adieu fillette, nous n’étions pas du même camp. Adieu minette, bonjour à tes parents. » (« Adieu Minette », 1977). Merveille d’écriture, d’amertume et de justesse (la petite bourge qui mouille pour l’Apache). Après « Morgane De Toi », plus de misogynie, de salopes avec le cœur planté en haut des cuisses, de frustration. Place aux portraits de femmes. Quasi-racistes (« La Doudou »). Geignardes (« Me Jette Pas »). Ironiques (« La Pépette »). Dégoulinantes (n’importe laquelle). De jeune fils de prof-romancier protestant, réfractaire et viril parce que se mettant dans la peau du voyou, on passe au vieil imbécile convaincu que ses échecs sentimentaux font de lui un observateur lucide de la connerie masculine fondamentale. Se pisse désormais dessus une poésie leader price. Au bonheur de la connasse chroniqueuse, qui n’aime rien tant qu’une bite en berne.
V – « P’tit Fada »
« L’information pour ces mecs-là, c’est d’effrayer le prolo, le bourgeois, à coups de chars russes, d’ayatollah… » (« J’ai Raté Téléfoot », 1981). Les médias ne manipulent plus ? Passons sur « P’tit Fada », pour parler de l’intifada sans en parler tout en en parlant. Et sur son lâche silence, chez Fogiel, lorsque celui-ci s’excusait des propos tenus par Dieudonné. Pourtant, Dieudonné, il est comme Renaud : athée, de gauche et anticommunautarisme. Pas un mot de soutien, de relativisation des griefs retenus contre l’humoriste pas tout blanc. Mieux : à la question de savoir si, au fin fond de sa rentable dépression, il ne trouve pas au moins une cause qui vaudrait de se mouiller, Renaud répond que non. Même pas José Bové ? Non: « Il est allé lécher le museau d’Arafat. » (« Palestiniens et Arméniens témoignent du fond de leur tombeau, qu’un génocide, c’est masculin, comme un SS, un torero. », « Miss Maggie », 1985)
VI – De l’empathie à l’égoïsme
« Il bosse toujours à l’atelier, assis sur un fauteuil roulant. Tu me dis qu’il chiale de temps en temps. Tu vois, je m’en serais un peu douté… » (« La Bande À Lucien », 1977). Le rap repose sur un malentendu : l’authenticité. Il faut être un vrai voyou pour rapper. Alors que les vrais voyous font des casses, pas des raps. Ce sont les accompagnateurs, les envieux de la délinquance, les petits frères puceaux qui rappent. Par la distance même qu’il y a entre ce qu’ils décrivent et ce qu’ils vivent, ils peuvent dépeindre, non pas une réalité sociale (il faut être intelligent, réfléchir et travailler), mais les explosions haineuses individuelles qu’entraînent les frustrations, mensonges et complexes d’infériorité (voir le génial « Flirt Avec Le Meurtre » de Ministère AMER, 1994). Et plus l’authenticité aura été revendiquée, plus le mensonge aura régné. Chacun sait que Joey Starr et le fils de gardien Kool Shen passèrent plus de temps, dès 90, aux Bains Douches, avec Mondino et Rita Mitsouko, ou au ministère de la Culture, qu’en garde à vue. Le rapport avec Renaud ? Tant que Renaud a raconté des vies qui n’étaient pas la sienne, par sa qualité d’écriture, nourrie de fidélité trouillarde, d’envie malsaine, de fantasmes de puissance primaire, d’excitation quasi sexuelle pour les destins douloureux et les vies cramées, il a été bon. Lyrique. Esthétisant ce qu’il faut. Et empathique comme Moati face à Le Pen. Le drame, c’est qu’un jour il a voulu ne plus parler que de lui. Là, non seulement, on s’est aperçu qu’il ne vivait rien d’intéressant, mais qu’en plus c’était pas Verlaine.
VII – Rouge, oui, mais de honte.
« Pauvre Dédé, aujourd’hui, l’est au cimetière de Pantin. Sur sa tombe, on a peint deux bandes blanches, c’est super : Sa bagnole crève doucement, tout au fond du jardin, d’un pavillon de banlieue, près de la ligne de chemin de fer. » (« La Tire à Dédé », 1979). Pour qui a vécu en banlieue dans les années 70, quand les Français y étaient majoritaires, que le HLM était un luxe, que le rap n’avait pas encore infesté de son discours, faussement politique et vraiment aliéné, le champ de la revendication, cette chanson représente un sommet. Que Renaud l’ait ou pas vécu compte peu. Ceux qui l’ont vécu s’y sont cru, ça suffit. En 1988, après les succès de « Morgane De Toi » et « Mistral Gagnant » (loin encore des catastrophes à venir), conscient d’avoir à donner des gages, en quête de street-credibility, sur l’album « Putain De Camion » (l’hommage à Coluche, représentant, lui aussi, un sommet, mais de nullité), Renaud chie deux bluettes infectes: « Rouge Gorge », obscène hommage à Doisneau et frelatée prise de conscience de la dépopularisation de Paris (accordéon, imagerie Amélie Poulain, mais pas un mot sur la bobo-isation qui s’annonce), et « La Mère à Titi », sordide remake parodique et déconnectée, de « Baston » ou de « La Teigne ».
VIII – Renaud, Mitterrand et les Arabes
« La France est une banlieue merdique, comme dit mon copain Mohamed… aux flics. » (« La Chanson du Loubard », 1977). 1983, début du coma intellectuel de Renaud. Sur l’album « Morgane De Toi », le terrible « Deuxième Génération ». Renaud a compris que, dorénavant, la figure du prolo de banlieue se confond avec celle de l’Arabe. Vu le titre, il s’agit d’une chanson à prétention sociologique. Son héros s’appelle Slimane, il a 15 ans, vit chez ses vieux à La Courneuve, a son CAP de délinquant (sic). « J’ai mis une annonce dans Libé, pour me trouver une gonzesse sympa… » Un lecteur de Libé, dans une cité, âgé de 15 ans, qui aurait compris, en 1983, que LE grand journal de la gauche n’est déjà plus qu’un adroit et droitier pousse-à-la-conso pour bobos…? Quelques formules heureuses cependant : « On va aux putes, juste pour mater, pour s’en souvenir le soir dans notre pieu. » Puis, soudain, au détour d’une strophe, LA faute. L’erreur d’observation du faux témoin : « Avec des potes, on a fait un groupe de hard-rock. » Un Arabe, dans les années 80, qui fait du hard-rock… Je sais, il y avait un Arabe dans Trust. Le simple fait qu’on s’en souvienne prouve que c’était exceptionnel. Renaud ne reparlera plus des Arabes. Il célébrera une « Petite », qui porte « une main jaune au revers du son-blou. » On ne peut pas soutenir Mitterrand et cette gigantesque entreprise de sodomie des Arabes qu’aura été SOS Racisme, et avoir un discours honnête sur la banlieue.
IX – L’estime de Jean-Luc Delarue
« La Marseillaise, même en reggae, ça m’a toujours fait dégueuler, Les marches militaires, ça me déglingue. Et votre République, moi je la tringle! » (« Où C’Est Que J’Ai Mis Mon Flingue », 1980). Invité aux Restos du Coeur (l’académie française de la chanson), entouré par les vainqueurs de la coupe du monde 1998, Renaud chante… la Marseillaise ! ! ! Et pas en reggae. Quelques mois plus tard, comme à tous les mourants, on lui remet une Victoire de la Musique, « pour l’ensemble de son oeuvre ». Scène sublime. Delarue déclare que tout le monde adore, admire et apprécie Renaud. La règle des trois A. La marque, la griffe, et la punition du chanteur énervant devenu nerveux. Il dit, « Je crois pas que tout le monde m’aime. » Si, si, lui répond Delarue.
Renaud n’avait qu’un seul talent : ses yeux. Sa femme est partie avec.
X – La punition Axelle Red
« « Et s’ils prenaient ta mère comme otage, ou ton frère ? », dit un père béret basque à un jeune blouson de cuir. « Et si c’était ton fils qu’était couché par terre, le nez dans sa misère…», répond le jeune pour finir. » (« Les Charognards », 1977). On est loin de cette habile rhétorique dans l’impardonnable duo de maison de disques « Manhattan-Kaboul » (Axelle Red est chez Virgin aussi). Renaud n’est même plus aux fraises : il les sucre complètement ! « Petit Porto-Ricain, bien intégré (sic), quasiment newyorkais. Dans mon building plein de verre et d’acier, je prends mon job, un rail de coke, un café. » Les Guignols, on peut comprendre qu’ils ne soient pas tous les soirs inspirés. Mais un mec qui n’a pas fait de disques depuis plusieurs années ? Le Porto-Ricain en trader de Wall Street… Abruti va! Déjà, chanter avec Axelle Red (et maintenant écrire pour la Marlene Dietrich de Forbach, P. Kaas), c’est inadmissible. Mais bêler : « Ils t’imposaient l’islam des tyrans. Ceux-là ont-ils jamais lu le Coran ? », ça mérite le pal. C’est qui son parolier, Alain Duhamel, Arlette Chabot ?
XI – Pauvre Lolita
« D’toute façon, t’en fais pas, m’avaient dit les copains, des nénettes, y’ en aura beaucoup plus que des mecs. Le quart d’heure américain, ça va tripoter sec! Des filles, y’ en avait que 12, pour 80 poilus. On fait mieux comme partouze, mais non, j’suis pas aigri. y’a qu’avec les petits Lu qu’ça a été l’orgie. » (« La Boum », 1977). Jetez une oreille à « Elle A Vu Le loup », sur son dernier CD, au sujet du dépucelage de sa gamine. Vous saurez exactement ce que ça fait de vieillir. Après l’avoir vendue en pièces détachées pendant vingt ans, ça fait chier le camelot qu’un autre en profite.
XII – Pourquoi sa femme s’est barrée
« J’aimerais bien parfois chanter autre chose que la zone. Un genre de chanson d’amour, pour ma petite Amazone. Pour celle qui, tous les jours, partage mon cassoulet. » (« Ma Gonzesse », 1979). Un ami, c’est celui qui dit oui à toutes vos frasques, ou celui qui, au risque de vous perdre, vous dit non quand vous devenez moche ? Renaud pleure sa Dominique partie (décence, pudeur et dignité sont à bannir, quand on veut revenir). Peut-être bien qu’elle n’est pas partie à cause des trente années passées. Mais en prévision de celles à venir… Qui mieux qu’elle sait l’être humain pathétique, grugeur, mauvais, un peu sale, qu’est devenu Renaud. Ce qu’elle l’a vu accomplir pour come-backer correspond-il à l’idée et à l’image qu’elle se faisait de lui… Point d’orgue : l’amour fou du quinca dégénéré pour une gamine de l’âge de sa fille. Façon « Les Charognards » : et si c’était Johnny Halliday qui soulevait Lolita, tu dirais quoi, Renaud ? Un lifting discret, et tu deviendras le Sardou qu’au fond tu as toujours rêvé d’être. Alors, par amitié, je t’insulte avant. Après, je te mépriserai seulement.
XIII – Fogiel adore
« Elle crèche cité Lénine, une banlieue ordinaire. Deux pièces et la cuisine, canapé, frigidaire. Préfèrerait habiter cité Mireille Matthieu. Au moins, elle sait qui c’est. Pis, c’est vrai que ça ferait mieux. Sur les cartes de visite qu’elle utilise jamais. Ça mettrait du ciel bleu sur les quittances de gaz. » (« Banlieue Rouge », 1981). Après s’être fait démarquer par Goldman (« La vie par procuration »), Renaud va en 2003 précéder le Maïté de la chanson : « Petit Pédé ». Vieille formule : le sujet de société. Contexte : le Pacs (et donc possiblement Fogiel en nouvel admirateur). Premier couplet : l’obligatoire référence à l’Homo d’Aznavour. Le jeu de mot gras pour les vieux fans: « Il fait pas bon être pédé quand on est cerné d’enculés. » Ah, le petit pédé qui a tant morflé qu’il fait pleurer le loubard au coeur tendre vient, bien sûr, de province.
Coda : Le BHL de la chanson
Un seul titre offensif sur « Boucan d’Enfer », « L’Entarté », consacré à BHL. Mauvais, vieux, pas drôle. Contre-productif. Lévy ne s’y est pas trompé: il n’a pas répliqué. Renaud n’avait qu’un seul talent : ses yeux. Sa femme est partie avec. En 1980, il se demandait où était son flingue. fi est dans ma poche. Je te l’envoie où ? À la Closerie ? Chez Fogiel ? Chez Georges Besse ou dans le Lubéron ?
GRÉGORY PROTCHE
PHOTO: DR
gregory.protche@tantpispourvous.com
Sources : Le HLM des fans de Renaud et Renaudmaah.com