Qu’on se rassure: Renaud ne ramollit pas!

Le Soleil

Québec, dimanche 5 juin 1988

LES ARTS

Le Soleil, André Pichette

Renaud, révolté et populaire

♦ Les chansons de révolte ont fait de Renaud un des chanteurs les plus populaires de France. Notre reporter Régis Tremblay l’a rencontré.

LES ARTS ET SPECTACLES

Dans «Putain de camion»

Qu’on se rassure: Renaud ne ramollit pas!

Quand il chante, il ne peut que crier ou bougonner, se révolter ou se rebiffer. La nature humaine a tout pour ça. La mort aussi, que ce soit celle de Steve Biko ou celle de Coluche. À peine chante-t-il parfois les tendresses brouillon et les amitiés bourrues. Mais quand vous le rencontrez…

Quand Renaud vous parle en tête-à-tête, sa voix vous parvient à travers un filtre adoucissant et son regard bleu vous touche à travers des lunettes rondes plutôt sages. Les pâles joues creuses et les longs cheveux raides rappellent l’adolescence difficile, la vie cachée, même si ce grand freluquet de 36 ans vend 1,200,000 microsillons: le recordman de France.

« On commence à me connaitre, avec ma tête dure et mes chansons rageuses. Les gens du milieu sourient quand je débarque avec un nouveau microsillon. »

Sachant l’accueil qu’on lui réservera et aussi le succès qu’il remportera. Renaud a boycotté toute la presse française à la sortie de son nouveau microsillon Putain de camion. Au siège de sa maison de disque, Virgin, il a écrit au tableau: « Renaud ne fera aucune promo, ni presse pourrie, ni radios nulles, ni télé craignos. » Ce qui ne l’empêche pas de venir nous en parler, à nous Québécois.

« Le Québec, c’est pas pareil. Ici, on ne passe pas son temps à vous tendre des pièges. En France, je me sens toujours coupable d’être célèbre et de gagner beaucoup d’argent. Et puis, c’est comme si on me reprochait d’ouvrir ma gueule! »

Renaud ne se gêne pas pour attaquer le star system français sur son nouveau 33 tours: Allongés sous les vagues, s’appelle ma chanson. Plus c’est con. plus ça passe à la télévision… Et en entrevue, sa langue, il ne la cache pas dans sa poche de blouson de cuir: « Le showbiz ne mise plus sur des carrières, mais sur des hits. C’est l’ère de l’artiste jetable. Si je débutais aujourd’hui, on ne me donnerait jamais la chance que j’ai eue. il y a 13 ans. »

Le Soleil, André Pichette
Quand Renaud vous parle en tête-à-tête, sa voix vous parvient à travers un filtre adoucissant et son regard bleu vous touche à travers des lunettes rondes plutôt sages.

Un fait, c’est le succès qui a couru après Renaud. « On est venu à moi tout le temps. Je sortais dans la rue et on me proposait de chanter dans un café. On m’a proposé d’enregistrer mon premier microsillon alors que je n’étais qu’un amateur. D’ailleurs, je n’ai pris que 15 jours pour le faire! » Voilà ce qui arrive aux vrais phénomènes, à ceux qui ont beaucoup à dire et à donner. On ne demande qu’aux riches.

Qu’on se rassure, Renaud ne ramollit pas. Son nouveau microsillon est plus virulent que jamais. Faut le faire: sur un même disque, s’en prendre au « loup blanc » de l’apartheid, à la « socialiste, protestante et féministe », à Le Pen, à « Ducon-Pauwels » (Louis Pauwels, passé du Matin des magiciens au Soir des réacs), dénoncer le conflit palestinien, s’attrister de la mort, de l’amour même… « Moi, c’est la vérité que j’trouve triste à pleurer, et je pleure. »

« Si je suis plus virulent, c’est peut-être que le monde est devenu plus violent… »

  

Source : Le Soleil