N° 146, mars 1979
Polydor 2473 095
Les lecteurs de « L’Express » sont déjà au courant : il se passe quelque chose dans la chanson française. Lama et Sardou tremblent en haut de l’affiche, car en bas Souchon, Duteil, Renaud et quelques autres s’agitent. Voilà une bonne occasion d’écouter la différence avec le nouvel album de Renaud, qui a été la révélation la plus soudaine
et la plus populaire de 78. Et pourtant, ses chansons à base d’argot et de jeux de mots, sur des rythmes désuets de java ou de tango et accompagnées par des instruments démodés comme le banjo, l’accordéon ou le bandonéon, se tenaient bien à l’écart de toute convention moderniste ou commerciale. Il y aurait donc là quelque chose de plus fort que l’air du temps.
Le Renaud 79 vient nous le confirmer. On y retrouve une bonne dose d’humour, de tendresse, d’audace. Pour cet album, Renaud a inscrit une nouveauté à son répertoire: le rock’n’roll. Pour le seul chanteur qui porte un blouson de cuir chaîné et clouté avec une veste jean sans manches par-dessus, comme les petits rockers de banlieue, cela s’imposait. Mais avec « Chtimi Rock » et « C’est Mon Dernier Bal », Renaud n’a pas confondu rock et gros son. C’est écrit sur la pochette, « This album has not been enregistred in Nashville ». Il fait du rock’n’roll balloche, comme on le fait chez nous, drôle, dynamique et populaire (« Depuis qu’Eddy Mitchell est allé à Nashville/Tous les rockers français ont carrément flippé/Mais moi pour m’éclater pas b’soin d’aller si loin/Je joue du rock’n’roll à Lille-Roubaix-Toucoing »). Le tout avec des effets de voix doo-wop et des solos de saxophone spectaculaires. Le rock’n’roll n’est peut-être pas français, mais chez nous on ne s’ennuie pas. « Sans Dec » est aussi une chanson rythmée, construite un peu comme les élucubrations d’Antoine, avec un humour à base de jeux de mots et d’illogismes. Avec des violons tziganes et des guitares typiques, « Salut Manouche » rend hommage à la façon de vivre et à la musique des Gitans. Il y a aussi un vrai tango-musette, « Le Tango de Massy-Palaiseau ». Celui-là, Travolta peut toujours s’accrocher pour le danser en disco. Renaud excelle dans les chansons douces et tristes, il chante la détresse adolescente (« J’ai la vie qui m’pique les yeux/J’ai mon p’tit cœur qu’est tout bleu/Dans ma tête j’crois bien qu’il pleut »), l’attachement amoureux (« Ma Gonzesse ») ou les rêves de paumé solitaire (« Dans un coin de ma tête/Y’a déjà ton trousseau/Un jean une mobylette/Une paire de Santiago/ T’iras pas à l’école/J’t’apprendrai des gros mots/On jouera au football/On ira au bistrot/Pierrot/Mon gosse, mon frangin, mon poto/Mon copain tu m’tiens chaud. »)
Petite fausse note dans cet ensemble, les arrangements et la production manquent de personnalité. On ne traite pas Renaud comme n’importe quel chanteur dans le vent. Son succès ne dépend pas de quelques gimmicks gratuits ou trafiquages de son. A ce jeu-là, on lui enlève de la puissance et on ne lui ajoute rien. Il faut louer en revanche l’excellent travail de Marcel Azzola à l’accordéon (pour les attardés qui seraient encore allergiques à cet instrument).
Renaud se garde bien de misérabiliser ou mythifier ses héros. Les loulous de Sarcelles ont souvent peur et leurs conneries ne sont pas toujours glorieuses. Entre les rêves et la vie réelle, Renaud sait en donner un tableau « vrai ». En utilisant le langage des rues avec ses intonations, ses déformations et ses inventions de mots, il touche en plein cœur un vaste public populaire. Il a en plus le bon goût de ne pas se prendre pour un chanteur à texte. Qu’elles fassent rire ou pleurer, ses chansons sont là, avant tout, pour distraire, pour faire danser. On n’a jamais rien changé en renversant le capitalisme dans les chansons, par contre le son de ces mots nouveaux dans la chanson française, c’est bien agréable. – CHRISTIAN VICTOR.
Source : Rock&Folk