Qu’on se le dise rapidement. Le dernier album de Renaud n’est pas une perle. Parce que Renaud revient comme il est, honnête, sincère, nostalgique et tendre mais usé. Aux premières écoutes, je m’injecte sa voix amochée, ses nouvelles mélodies et ses rimes qui manquaient terriblement… Comme un gros fan en manque de sevrage.
Fracassé, remué, j’ai le cerveau brouillé, la chronique hésitante et le cœur chahuté. Belle lurette que je l’attendais cet album « du retour ». J’ai l’envie d’écrire, de coucher mes impressions, lâché les mots qui veulent s’envoler, s’échapper de mes tripes. Et puis ce soleil de printemps qui fait du bien, les fleurs qui reviennent, le vent des champs qui m’appelle à flâner. Tout va bien donc, mais je glisse sur le syndrome de la feuille blanche, brouillé, les émotions enchevêtrées et ça m’énerve. Ça fait plus de cinq heures que je suis là, à écrire, effacer, écrire, effacer. Et l’album qui tourne en boucle. C’est que je l’aime ce mec. Tant d’impatience pour un album qui me bouleverse dans les deux sens, et pourtant j’ai la syntaxe qui débande. Il faut dire que la grandeur de certains des titres dépassent largement le fantasme alimenté par une trop longue attente. Les mots d’abord, m’agrippe et me transporte. Où ? Vers la catégorie des œuvres à vous suspendre dans le temps, à vous hypnotiser l’oreille et à écarquiller l’œil. À vous faire battre un cœur quand cette voix tremblante de pépé vous raconte que les mots sont un don du ciel, une grâce, qui rend la vie moins dégueulasse… trois minutes vingt-sept qui colle des frissons. Impossible de s’en lasser. Impossible de s’en détacher. Comme à son habitude, Renaud se livre, et quand il chante La vie est moche et c’est trop court son cœur semble pleurer. C’est déchirant de pudeur et de délicatesse, poignant… à peine le temps d’être malheureux, tu pleures plus souviens qu’à ton tour, tu te retournes et puis t’es vieux… Une autre chanson pas si vilaine que ça, à la mélodie lancinante et assassine mais qui n’empêche pas d’avancer vers un horizon un peu moins gris. Ah bon ? Comme dans la ballade folk-blues Mulholland Drive qui raconte le quotidien d’une jeune américaine qui rêve de liberté. Ah ça oui, ça change des road-trips à Roubaix-Tourcoing ou Massy-Palaiseau sur ta pauvre mobylette. Un titre qui sent un peu l’espoir, rien et compliqué, rien est grave… Ça sonne un peu Cowboys Fringants. Et qui dit espoir, dit émotion. Et l’émotion est grande quand Renaud chante ses proches. Avec amour surtout, comme quand il s’adresse à sa petite-fille Héloïse, avec une bienveillance évidente et une très grande simplicité pour un voyage à Venise. Ou pour Malone dans Petit bonhomme en toute humilité, le phénix vulnérable murmure pour ne pas casser les oreilles, tout l’amour qu’il porte à son fils.
Le chanteur énervé n’est plus, un peu plus fatigué c’est sûr, apaisé pourquoi pas. Celui qui balançait des pavés dans la tronches des flics il y a trente ans, les enlace aujourd’hui dans J’ai embrassé un flic. On oublie la polémique débile qui enfle sur les réseaux, car on ne peut rien faire contre les cons, surtout quand ils ont la possibilité de s’exprimer. L’artiste qui fut profondément touché par les attentats et les disparitions de ses amis de Charlie Hebdo, ouvre l’album par cet hymne à l’amour et à l’humour, au rythme haletant, à la voix chaleureuse. Toute façon c’est bien explicite dans la chanson bande de cons. Et tant pis si je semble trop fan pour que mon avis soit sincère. Quand j’écoute Toujours debout que je monte le son à faire trembler le sol et vibrer mon p’tit cœur, ben je suis un peu plus heureux même si c’est du Renaud 2000 qui ne vaut pas le Renaud 80.
Dans le ciel, les nuages ne font que passer, un nouveau chapitre s’ouvre, une nouvelle page s’écrit, les années sont passées, certaines s’effacent, d’autres à jamais gravées, on change, en bien, en mal, ainsi va la vie. Renaud a pris un coup, c’est vrai, mais grand comme un peuplier il revient malgré tout, malgré eux, et comme il peut. « Peu importe le timbre, peu importe l’enveloppe, pourvu que la lettre soit jolie ». C’est par ces mots d’Oscar Wilde que Renaud conclut le livret de ces textes. Ça résume tout.
Renaud revient comme il est. Honnête, sincère, nostalgique, tendre, et touchant. On espérait tous un retour fracassant, mais tant pis, ne faisons pas semblant. Cet album est d’une beauté à saisir comme on peut, en grattant dans notre histoire passée avec le chanteur. En attendant il est de retour et comme Arthur Rimbaud l’écrivait dans son poème, je le dis devant ce disque : « J’ai reçu au cœur le coup de la grâce. Ah ! Je ne l’avais pas prévu ! »
Tracklist
13 – Ta batterie
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Source : BREAK MUSICAL