Renaud

Circus

N° 104, décembre 1986

LA GALAXIE DES COMIQUES

LATITUDES

Propos recueillis par ESTEBAN

En santiags et jeans serré, Renaud répond aux questions de Circus. Un scoop fulgurant et une sacrée occasion pour fêter la sortie de la Bande à Renaud.

Un album qui rassemble 9 adaptations libres de ses chansons et plusieurs illustrations. Au générique : Yslaire, Boucq, Juillard, Vicomte ou Margerin. Un collectif surprenant où chacun a rendu avec humour ou réalisme, un hommage moderne au chanteur.


CIRCUS : « Il est de notoriété publique que tu es collectionneur de B.D. Comment cette « passion » t’est-elle venue ? »

RENAUD : « J’ai commencé il y a 2 ans. Ça faisait 15 ans que je me lamentais de ne pas être collectionneur et à chaque fois que j’allais à un salon, dans une convention, aux puces ou sur les quais, chez les bouquinistes, je voyais un vieux Tintin, un vieux Spirou ou un Gil Jourdan, je me disais : Putain ! Je l’ai eu en main, ce bouquin !  Aujourd’hui, il vaut 400/600 balles ! Je l’ai eu vraisemblablement en première édition quand j’avais 8 ou 9 ans, je l’ai gribouillé, ma mère l’a jeté, je l’ai échangé à un pote contre un sac de billes…

À la même époque, j’avais un copain collectionneur. Quand j’allais chez lui, je bavais sur ses Corentin. ses Blake et Mortimer, sur les premiers Michel Vaillant. Et puis un peu plus tard, un ami libraire m’a convaincu de commencer une collection. À partir de là j’ai découvert des trésors et je me suis constitué un « fonds ». Au début, uniquement Dupuis/Lombard, donc tout ce qui était paru dans Tintin et Spirou dans les années 50. Quand les séries ont commencé à être complètes – j’ai fait aussi des conneries en achetant trop vite, par gourmandise – je me suis ouvert à d’autres choses : Craenhals, Cuvelier, Zig et Puce, Bicot… Maintenant, en plus. je me suis mis aux tirages de tête, aux portfolios, aux sérigraphies de gens que j’adore comme Loustal ou Ted Benoit. J’ai aussi les objets : la fusée d’« Objectif Lune » par exemple, en trois dimensions, superbe ! Je me dis à chaque fois que c’est terminé et j’achète des modernes, comme Swarte que je considère comme un génie. Sans oublier les nou­veautés : sur 800 albums qui sortent par an, j’en achète 500… »

CIRCUS : « Es-tu un lecteur « normal » ou plutôt quelqu’un qui passe du temps sur chaque case, qui analyse toutes les planches une par une ? »

RENAUD : « Non, je ne suis pas un masturbateur, un pinailleur ou un analyste. Je suis un lecteur ordinaire. Mais je m’intéresse au découpage. Je trouve celui de Bourgeon, par exemple, sublime et j’aime pas trop les trucs fouillis style Druillet. J’ai un exemple de découpage merdé, c’est celui que j’ai fait pour Armand (NDR : les Aventures de Gérard Lambert). Je faisais 3 planches au fur et à mesure. Armand partait les dessiner et j’en refaisais 3 autres, sans savoir où j’allais. Et quand on m’a dit : « T’as plus que trois planches pour conclure… » toute l’action se déroule sur les 3 dernières pages. Il m’en aurait fallu encore 25. Cette histoire que j’aurais pu raconter en 3 minutes dans une chanson, j’ai été incapable de la raconter en 46 planches…

J’ai été mal à l’aise pour défendre cet album ensuite. Parce que je n’étais fanatique ni du dessin ni du scénario. Et puis le distributeur n’a fait aucune promotion, Armand n’avait pas toutes les portes ouvertes ; on n ‘a pas eu beaucoup de pub… J’ai fait une fois une séance de dédicace – c’était la première et la dernière – pour 5 mômes qui t’achetaient le bouquin il y en avait 15 qui te faisaient signer un bout de papier, un blouson ou un ticket de métro. C’était l’émeute autour du stand. »

CIRCUS : « Est-ce que le souvenir de cette expérience ne t’a pas un peu mis sur tes gardes lorsque l’on t’a soumis le projet de La Bande à Renaud ?

RENAUD : « Ça a contribué à une certaine réticence ; je n ‘ai pas dit oui tout de suite. Je m’étais dit que la prochaine fois que je faisais quelque chose dans ce domaine, je voudrais en être fier, satisfait du travail. Et là ce qui m’a surpris c’est que des mecs qui ont du talent et du boulot se sont défoncés pour cet album et aucun d’eux, je pense, n’a fait ça pour de l’argent… »

CIRCUS : « Tu as quelques préférences après la lecture ? »

RENAUD : « Dans celles qui m’ont le plus séduit, il y a l’histoire de Vicomte qui a vraiment fait un effort. En partant du même thème, il a intégré des personnages d’autres chansons, c’est très poétique. J’aime beaucoup Benoit évidemment, le plus « ligne claire », parce que le plus proche d’Hergé. Vatine, dont j’avais lu seulement « Galères Balnéaires », je trouve ça très bien ; Darrow, je connaissais très peu mais j’ai été agréablement surpris ; Boucq, j’adore ses couleurs, c’est délirant et surréaliste de transformer Gérard Lambert en voleur de bétails ; Yslaire, le fait de reprendre les images du clip « Mistral gagnant », m’a séduit énormément ; et puis sinon, j’aime aussi beaucoup Dodo/Ben radis et Margerin bien que pour eux ça paraisse plus évident, plus prévisible d’adapter mes chansons. Il y a bien sûr des petites choses qui m’ont dérouté parce que certains dessinateurs comme Juillard sortent de leurs univers habituels, mais quand on t’arrange physiquement et qu’on te fait la gueule de Clint Eastwood… Non, tous ces types sont superbes. Je vais pas trouver d’autres adjectifs. Qu’est-ce que tu veux que je dise d’autre ?… »


Parmi tous les auteurs qui figurent dans ce collectif, il en est certains que l’on connaît bien ici, à CIRCUS. Exemple Julliard et Vicomte. Ils parlent de leur collaboration à la « Bande à Renaud ».

CIRCUS : « Étiez-vous déjà « fan » de Renaud avant qu’on vous propose ce travail ? »

JUILLARD : « Je ne suis pas très « variétés » d’une façon générale, mais c’est un des chanteurs que j’aime bien. Je ne pense pas que j’aurais fait ce travail avec le même plaisir pour d’autres… »

VICOMTE : « J’ai vraiment découvert l’univers de Renaud en travaillant sur ses chansons. Ce que j’appréciais en lui s’est amplifié avec cet album. Il y a un côté sympa chez Renaud. Il est à la fois ouvert, perspicace et pétillant pour avoir du recul sur la société et en même temps il est hyper tendre. Avec des valeurs poétiques sûres, c’est-à-dire que lorsqu’il parle de sa petite fille, ce n’est pas n’importe comment… Il parle de choses fortes sans mièvrerie et de choses difficiles sans violence, je trouve ça assez raffiné. »

CIRCUS : « Comment c’est passé le travail d’adaptation et y a-t-il des choses communes entre les chansons de Renaud, leur structures et votre propre travail d’auteur de B.D. ? »

JUILLARD : « Il y a beaucoup de chansons de Renaud qui se prêtent à l’adaptation, je crois. Elles sont souvent une petite histoire avec un déroulement, etc… Celle que j’ai choisi, « Laisse Béton », me paraissait tout à fait évidente mais il ne fallait pas que ça soit trop calqué, la versification, tout ça ; pas juste une adaptation facile, c’est pour ça que j’ai rajouté des dialogues, une chute qui, d’ailleurs, était déjà explicite dans le texte de Renaud. J’espère ne pas l’avoir trahi. »

VICOMTE : « Ce qui est rigolo, ce qui se prêtait bien à ça, c’est que, comme Gainsbourg, il raconte une histoire, il met des personnages en scène. Je n’ai pas cherché à faire une adaptation. J’ai voulu partir d’une de ses chansons et m’amuser avec, délirer un peu dessus et en ce sens, c’est pratique parce que la chanson de Renaud donne déjà une base, un déroulement d’action dans les trois-quarts du temps. Et je n ‘ai fait aucun rajout, tout le dialogue que j’ai employé vient d’autres chansons. Ce sont des associations d’idées. Il n’y a pratiquement pas un mot de Vicomte là-dedans ! »

CIRCUS : « Ce que vous avez réalisé pour « La Bande à Renaud » est-il très différent de ce que vous faites ordinairement ? »

JUILLARD : « Pour cette histoire, ce qui m’amusait c’était de faire un repérage dans un endroit qui convienne. J’avais pensé à un coin dans le 20e, j’ai pris mon vélo avec mon appareil photo, mon carnet de croquis et puis, en passant à 2 pas de chez moi, je suis allé à Bercy, dans l’ancienne Halle aux vins, et j’ai fait mes repérages. Ça a été une façon de s’oxygéner pour moi. même si on quitte la campagne pour la ville. (NDR : métaphore, comprenez la B.D. historique, pour celle plus contemporaine).

VICOMTE : « Je suis revenu à ma source première, l’humour. Parce qu’avant la « Balade », je n’avais jamais fait de réalisme. Je me suis un peu plus cassé la tête sur le scénario pour goupiller un truc qui se tienne, pour que ça puisse être lisible par quelqu’un qui ne connaisse pas la chanson. J’écoutais « Morgane de Toi » en dessinant. Je me suis mis dans son ambiance… »

CIRCUS : « Quelle est votre sentiment sur ce rassemblement d’auteurs autour d’un « thème » maintenant que l’album est sorti ? »

VICOMTE : « C’est assez miraculeux. Tout le monde s’est pris au jeu. Renaud nous a donné beaucoup d’éléments. C’était très confortable. »

JUILLARD : « Ce qui m’a fait plaisir et ce qui n ‘est pas fréquent pour tous ces ouvrages collectifs, c’est l’impression que tout le monde a pris ça à cœur pour faire quelque chose de correct. Personne n’a bâclé. »

  

Source : Circus