Renaud à Argenteuil, naissance d’un loubard et de « Laisse béton » qui fera décoller sa carrière

Le Parisien

Récit | Val-d’Oise

Renaud est actuellement en tournée dans toute la France. Lorsque le titi parisien à la dégaine de Gavroche débarque à Argenteuil au milieu des années 1970, il y rencontre une bande de copains qui lui ont inspiré plusieurs titres phares, dont son légendaire « Laisse béton ». Nous avons retrouvé les témoins de l’époque.

Par Aurélie Foulon
Le 23 mars 2024 à 05h45

Dans le clip de « Dans mon HLM », Renaud apparaît chantant son titre sorti en 1980 incrusté sur une vidéo en noir et blanc du quartier. Archives INA

Pour son premier « caf’conc’ », à deux pas des Champs-Élysées en première partie de Coluche, il y a tout juste cinquante ans, Renaud apparaît sur scène dans sa « tenue habituelle de Gavroche : gapette, veste en velours côtelée à la Aristide Bruant, sur une salopette ou un pantalon à carreaux et l’incontournable foulard rouge pour ciseler l’ensemble », décrit le chanteur dans son autobiographie (« Comme un enfant perdu », XO Éditions, 306 pages, 18,90 euros). « Un peu plus raffiné tout de même que sur les trottoirs parisiens », où il chantait « juste comme ça » pour gagner sa croûte en attendant parce que lui, « son truc, c’est d’être comédien ».

Il se laisse finalement convaincre d’enregistrer un album studio. « Amoureux de Paname », sorti en 1975, a beau contenir des titres phares qui marqueront son répertoire (« Hexagone », « Société, tu m’auras pas ! »), il fait « un bide retentissant et dépasse péniblement les deux mille exemplaires après six mois dans les bacs ». Sa guitare sous le bras, il pense alors « s’en tenir aux MJC et cafés-théâtres de banlieue ».

Un tube écrit sur une table de bistrot

Une rencontre donnera un tout autre tour à sa destinée : celle d’Anny S., dont le frère habite la cité Joliot-Curie à Argenteuil, dans le Val-d’Oise. « À l’époque, j’étais mariée à un photographe, il avait un ReVox que Renaud utilisait souvent pour enregistrer », se souvient-elle. Par son intermédiaire, il se « met à fréquenter les loubards de banlieue ». « On était très amis, de super-potes  », témoigne au téléphone, depuis sa maison des Landes, celle qui est devenue mamie et conserve très précieusement une photo souvenir de vacances « au cap Fréhel en 1973 ou 1974 ».

« Je délaisse le folklore titi parisien pour un vocabulaire plus actuel, retrace Renaud dans son autobiographie. Tandis que je découvre le verlan, j’échange mes fringues de poulbot contre un blouson de cuir et les santiags. J’ai 23 ans, je rêve confusément d’être un petit voyou, influencé par ceux que je fréquente, tout en fondant d’émotion quand je croise un enfant triste ou une vieille dame. » Exit Gavroche, avant de devenir Renard, Renaud se mue en loubard. « C’est vrai qu’il s’est beaucoup inspiré des jeunes loubards, confirme Anny. C’était des zonards sympas, pas comme maintenant… » En 1975, tous les ingrédients sont donc réunis pour son premier tube, celui qui fera décoller sa carrière. « J’ai écrit Laisse béton sur une table de bistrot, au milieu de ma bande de potes d’ Argenteuil et sur l’intérieur d’un paquet de Gitanes parce que j’avais rien d’autre sous la main. » Le titre sortira sur son deuxième album studio, « Place de ma mob », en 1977. On y trouve aussi « la Boum » : « Y avait deux trois loubards/Qui assumaient leurs instincts/En chouravant dans l’noir/Les disques et les larfeuilles/J’voyais tout, j’disais rien/C’était mes potes d’Argenteuil ».

C’est le temps des parties de flipper à la Rotonde, le café de l’autre côté de la route d’Enghien qui n’existe plus aujourd’hui, en bordure de la cité Joliot-Curie. « Le troquet où il fréquentait les loulous du quartier, sachant qu’à cette époque, il y avait de sacrés zozos ! », rapporte Michel Tétart, directeur de la MJC depuis 1976 et toujours en poste, auquel on doit le « tout premier concert de Renaud enregistré en entier ». « C’est assez bizarre comme truc », reprend celui qui « raconte toujours l’anecdote quand [il fait] visiter la MJC ». « Les gars ont voulu qu’il y joue. Il y a un doute sur la date : 1976 ou 1977. Moi je pense que ce devait être 1976, car en 1977, il commençait à être connu donc on ne l’aurait pas eu pour 500 francs. »

C’était en tout cas un 28 mai. Ce jour-là, « je suis arrivé un quart d’heure avant, Renaud m’attendait devant la porte avec sa guitare et l’accordéoniste de Pierre Perret (Gilles Lecouty). Il y avait peut-être 40 spectateurs, dont 35 de Joliot, c’était le concert du copain. J’ai enregistré une bande sur un ReVox. C’était juste pour moi, de l’artisanat total, sans micro, ni rien. J’ai dû en faire cinq ou dix cassettes à l’époque, pour ceux qui me l’ont demandé. Puis j’ai vu que quelqu’un l’a mis sur Internet il y a quelques années ».

Des MJC aux salles de 2 000 à 3 000 personnes

Après ça, Renaud reste fidèle à Argenteuil. Ermine, qui « va sur ses 88 ans », ne fréquentait pas le bar ni la MJC mais se souvient l’avoir croisé régulièrement, « quand il rentrait avec ses copains ». « Il n’y a pas eu beaucoup de 14 Juillet à Joliot », alors elle garde surtout en mémoire « celui de l’année 1977, quand il avait chanté en plein air pour le bal ». Nad, plus jeune, retient l’image de « Renaud qui faisait de la guitare sur les pelouses pendant qu’on jouait au foot ». « C’était une grande amitié avec Dédé Portalier qui nous a malheureusement quittés, insiste-t-il. Il était souvent chez Dominique (le frère d’Anny), qui nous a quittés aussi, escalier 2. Moi, j’étais escalier 4, rue Jean-Richard-Bloch. Je parlais avec lui, il était sympa. Il jouait dehors, en face de mon bâtiment. C’était une belle époque, il y a des photos qui circulent sur certains amis qui ont fait des sorties avec lui à Paris. » Christian lui aussi habitait Joliot et n’a pas oublié « la trempe » qu’il a prise en rentrant « à 1 heure du matin au lieu de 22 heures », parce qu’il était resté écouter Renaud un peu trop longtemps.

En 1978, « Laisse béton » sort en 45-tours. Le titre devient un tube et révèle Renaud au très grand public. Il passe alors de sa tournée des MJC à des salles de 2 000 à 3 000 personnes. Et n’oublie pas Argenteuil. Il sera parmi les têtes d’affiche de la Fête de l’Avant-Garde, le journal des jeunesses communistes qui organise un festival sur trois jours au pied de la cité Fernand-Léger, au Val-d’Argent nord. Les 2, 3 et 4 juin 1979 se succèdent Renaud, Julien Clerc, Alan Stivell, Starshooter, Bijou et Little Bob Story. Entrée : 35 francs pour les trois jours. Frédéric Pocquet (lire ci-contre), enfant d’ Argenteuil qui deviendra quelques années plus tard sosie vocal et physique, était aux premières loges puisqu’il habitait un bâtiment de Fernand-Léger. Il se souvient bien du concert de « ce petit blond qui chantait ce qu’on vivait ».

Il retrouvera sa cité (détruite depuis) dans le clip de « Dans mon HLM », où l’image de Renaud chantant son titre sorti en 1980 est incrustée sur une vidéo en noir et blanc du quartier. Roger, qui avoue avoir eu « une période de voyoucratie avec la bande de Joliot », y reconnaît d’ailleurs sa belle-sœur à la fenêtre de l’immeuble, et le frère de celle-ci, sur son vélo, enfants à l’époque.

Un héritage présent dans de nombreuses chansons

Lui qui a bien connu Dominique (le frère d’Anny) et Dédé Portalier, « les deux super-potes de Renaud », est convaincu, comme beaucoup, que d’autres titres font référence à cette période de sa vie. «  La Tire à Dédé, c’est Dédé Portalier ! » Anny confirme. D’autres croient savoir que « Bob qu’était au flip », dans « Marche à l’ombre », sorti en 1980, était le fils de l’ex-patron de la Rotonde.

Anny, elle, avait quitté la région dès 1978, d’abord pour Antibes. « Après, Renaud a rencontré Dominique, sa première femme. Ils sont venus quelquefois nous voir sur la Côte d’Azur. » Dans sa maison des Landes, où elle vit avec son mari qui fut, lui aussi, patron de la Rotonde, la photo encadrée du souvenir de cap Fréhel n’est jamais loin. « Elle se balade d’une pièce à l’autre, parfois dans la chambre de mes petites filles », plaisante-t-elle.

* « Comme un enfant perdu », XO Éditions, 306 p., 18,90 €.

 

Source : Le Parisien