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CLAUDE FLÉOUTER
Toute la première partie, de son spectacle à Bobino, Renaud, en salopette bleue et foulard rouge, la voix trainante, ressuscite les goualantes de Fréhel, d’Aristide Bruant et de Montéhus, l’univers populiste, réaliste, de chansons, où les vies sont accordées au tohu-bohu de la rue, à une façon de prendre et de donner sans rien garder, où les personnages sont fatalistes et leurs destins tragiques, où les « mauvais garçons » de la place Blanche et de Montmartre attendent la « comptée », où Jésus la Caille, croise Marie la blonde et Nana rencontre Julot gueule d’acier. Vigoureusement accompagné par Joss Baselli et ses musiciens, Renaud, vingt-sept ans, chante, Du gris, C’est un mauvais garçon, La plus bath des javas, Tel qu’il est, Rue Saint-Vincent, la Butte rouge, face à un jeune public populaire venu écouter les derniers succès de la radio, Ma gonzesse, et Laisse béton. Et la fidélité et la modernité, la tendresse légèrement ironique avec lesquelles il restitue cet héritage du début du siècle, lui permettent d’affirmer avec panache les racines de ses propres chansons et de dire au passage qu’il a repris naturellement le flambeau d’un genre qui semblait s’éteindre depuis la mort de Piaf.
Reformant équipe en deuxième partie avec ses habituels musiciens, jouant sur une diversité de couleurs musicales (rock, country, ballades, complaintes), Renaud chante, alors en argot, en verlan, avec gouaille et tendresse mêlées, ses propres chroniques de révolte et de sentiments, de paumés dans les banlieues tristes, de faits divers tragiques et dérisoires.
Renaud, qui ne dédaigne ni les coups de gueule ni l’humour et la parodie, a des chansons,-histoires solidement construites dans lesquelles vivent et parfois meurent des êtres de chair et de sang, les habitants d’une H.L.M. blême, le « loubard » qui ne se fait pas d’illusion, deux jeunes hommes qui agonisent sur l’asphalte, à 2 heures du matin, rue Pierre-Charron, après un braquage raté, le joueur de flipper et le motard. Le ton de Renaud paraît aujourd’hui toujours juste, et certaines de ses chansons sont exemplaires. Ainsi le superbe portrait de Mimi l’ennui : Elle aime rien, même pas les copains, pi elle dit qu’elle est lasse de traîner sa carcasse dans c’pauv’monde tout gris, dans cette pauv’vie sans vie même sa peau elle l’aime pas.
Source : Le Monde