Publié le 7 juin 2002
L’interprète de Laisse béton a retrouvé le chemin de la création après une longue panne d’inspiration.
Après plusieurs années marquées par la dépression et l’alcoolisme, le chanteur revient avec un album introspectif qui traduit son chagrin, Boucan d’enfer.
Le renard est sorti du bois. Renaud a toujours les yeux bleus délavés et un éternel Perfecto. Histoire de jouer les durs. Une gueule que le navigateur Titouan Lamazou n’a pas manqué d’aquareller pour la pochette de son nouvel album Boucan d’enfer. On y voit un Renaud assis devant un verre, seul dans un bar qu’on suppose être celui de la Closerie des lilas, son QG préféré.
Si le chanteur a tenu à être portraituré ainsi, c’est que l’alcool a longtemps hanté son quotidien. Sept ans qu’il n’avait rien fait ou presque – hormis Renaud Cante El’Nord et Renaud chante Brassens, depuis l’enregistrement de la Belle de Mai en 1995. Sept ans qui semblent une éternité, années de galère pour le chanteur, la parano et les idées noires ayant servi de béquille à son spleen. Renaud était mal dans ses santiags. Délire éthylique, morale à zéro soigné à coup d’antidépresseurs et d’une anisette dont nous tairons le nom, il raconte tout cela dans Docteur Renaud, Mister Renard, chanson d’ouverture de son album. Comme il y a eu Gainsbourg-Gainsbarre, il y a un Renaud et son double qui permet au chanteur de dresser un portrait de lui-même en forme de Dr Jekyl et Mister Hyde, « moitié ange, moitié salaud ». D’un côté il y a le « Renaud qui souffre de tous les maux qui accablent ce monde barbare », de l’autre, le « Renard désabusé qui se marre, se contrefout de ce bazar / le monde peut crever bientôt / Renard s’en réjouirait plutôt ». Tiraillé entre bien et mal, générosité et égoïsme, Renaud pleure parfois un peu trop sur lui, mais nous touche dès qu’il évoque la rupture avec celle dont il a partagé la vie durant plus de vingt ans. D’où le titre du disque qui renvoie au « boucan d’enfer » que fait le bonheur quand il s’en va : « Mon amour a claqué la porte / Mais j’étais pas du bon côté / Me vl’a pareil à une feuille morte sur le pavé », chante-t-il.
Sa « gonzesse » s’est fait la malle et les amours mortes de Renaud sont passées par là. Ça fait mal et son désir de le dire traverse une écriture thérapie : « J’ai plus qu’une envie / c’est mourir / Mais, ça s’fait pas / Pourtant y a bien pire que mourir, y a vivre sans toi. »
Renaud, comme on dit, a morflé côté sentiment, devenu blasé, même lorsque, dans un bistrot de banlieue, il aperçoit un jeune couple amoureux s’embrasser : « C’est tout jeune et ça n’sait pas que pour les amoureux / Hélas, la vie est bien dégueulasse / Un beau jour l’amour se lasse, c’est comme ça. » Bref, Renaud fait part de ses états d’âme. Nous sommes loin de celui qui a incarné la France des banlieues des années soixante-dix et quatre-vingt, titi au parler verlan, bien avant que cette façon de s’exprimer à l’envers ne devienne un phénomène de société. Exit le Marchand de cailloux d’avant, c’est le chanteur plein de tendresse à la gouaille douce-amère que l’on retrouve.
Vingt-sept ans se sont écoulés depuis ses débuts en 1975, où un jeune homme timide, rongé par le trac, chantait pour la première fois à la télévision : Société tu m’auras pas. L’internationale bourgeoise était mise à mal, et Renaud, au diapason d’une société pleine d’espoir qui s’est vite reconnue dans les chroniques sociales du poulbot chantant Dans mon HLM. C’était aussi le temps des bandes et des Bastons au-delà du périphérique, que Renaud observait, avec un brin de dérision à la manière d’un Coluche, gentil loubard à la Franck Margerin. Il fustigeait tous les « blaireaux » et autres « beaufs » de la terre, sans oublier les dirigeants d’un monde capitaliste symbolisé par une dame de fer, Miss Maggie, qu’il ne pouvait pas voir en peinture.
Les temps ont changé, Renaud aussi. C’est le chanteur taciturne qui fait son retour. · cinquante ans, il a perdu ses illusions et tente de trouver son chemin entre chagrin et goût à rien : « J’ai toujours gardé une certaine distance avec le monde. Mais peut-être qu’avant j’avais plus envie d’ouvrir ma gueule », laisse-t-il entendre au fil de ses interviews pour expliquer le blues qui l’habite. Le résultat de la présidentielle, le score du Front… n’ont fait qu’ajouter à la déception. Ce qui lui a donné envie d’enregistrer un nouvel album ? » Le désir de sortir du trou où je commençais à m’étioler entre séparation conjugale et dépression autour de quarante-cinq balais. « Le chanteur y est moins « énervé » qu’auparavant. Certains le regretteront, les autres apprécieront les strophes sensibles de l’auteur de Laisse béton, qui, dans Manhattan-Kaboul, revient en duo, avec Axelle Red, sur les événements du 11 septembre où un 747 a explosé sur « l’autel de la violence éternelle ». Avec Petit Pédé, il évoque la condition des homos à la façon de Charles Aznavour, mais avec ses mots à lui : « Fais pas bon être pédé / Quand t’es entouré d’enculés (…) qu’on soit tarlouze ou hétéro / C’est finalement le même topo / Seul l’amour guérit tous les maux. » L’amour justement, dont il aimerait qu’il soit le plus beau pour sa fille Lolita (Elle a vu le loup). Avec Nain de jardin (« …si je tenais le gredin qui m’a volé mon nain de jardin… ») Renaud garde un peu d’humour au fond, mais on aura compris que ce n’est pas son album le plus gai.
Moins de révoltes, moins d’engagements (« …j’ai arrêté de croire en tous les idéaux… », Tout arrêter), moins de sourires aussi, mais peut-être plus d’émotion. Renaud s’est pris au jeu, et miracle… le désir d’écriture est revenu après une longue période marquée par l’abandon des muses. Le chanteur, entre ses cures de désintoxication, a trouvé la force d’écrire quatorze nouvelles chansons, composées, pour l’essentiel, par le fidèle Jean-Pierre Bucolo, lui-même se sentant désormais « limité » de ce côté-là. Comme quoi, rien n’est jamais désespéré pour qui veut s’en sortir.
Au finale, le Renaud 2001 est plus humaniste que revendicatif, émouvant quand il parle de ses blessures sentimentales. Le chanteur d’Hexagone avait sans doute besoin de mettre entre parenthèses sa fibre rebelle. En fait, c’est plus la lassitude, voire la mélancolie, que le véritable défaitisme qui l’emporte ici. Son pessimisme l’oblige aujourd’hui à tremper sa plume dans le noir de vers déprimés, façon ego pour mieux exorciser ses démons. Après ? Il promet un roman, « chroniques de mes années noires dans mon enfer quotidien », et un album (plus combatif ?) qu’il souhaite réaliser dans la foulée de ses prochains concerts. Pour le moment, lui qui avait joué dans Germinal (Claude Berry), va bientôt faire sa rentrée dans le film de Brad Mirman tourné au Canada, Crime Spree, avec Johnny Hallyday, Gérard Depardieu et Harvey Keitel. En attendant son retour sur scène, au Zénith, à la fin de l’année, et une grande tournée. Renaud n’a pas laissé béton. Il a bien fait.
Concerts au Zénith : du 19 au 25 décembre.
Sources : L’Humanité et Le HLM des Fans de Renaud