10 octobre 1988
A partir de mardi au Zénith
« Visage pâle attaquer Zénith » : c’est le slogan choisi par Renaud pour faire sa rentrée parisienne à partir de mardi soir. Sans sa panoplie habituelle – jeans, blouson noir et foulard rouge – mais le visage effectivement pâle, le cheveu toujours long, blond et raide, le barbe clairsemée, la mine espiègle et l’air toujours aussi titi. Le chanteur énervant, le neveu médiatique du tonton-président François Mitterrand n’a pas du tout l’intention de déterrer la hache de guerre, mais plutôt de s’installer tranquillement dans ses meubles, pardon son décor : un arbre géant, sur les branches duquel se trouvent ses musiciens, des rangées de coquelicots. une vraie pelouse et un banc public qui aurait plus à Brassens.
Un peu de verdure et d’oxygène, voilà de quoi mettre à l’aise cet apache hexagonal pour affûter ses flèches, évoluer sans cesse entre tendresse et vacherie, humour et insolence. Le tout avec un répertoire de chansons anciennes et nouvelles, où toujours dans un style aussi direct, percutant, il continue, guitare en bandoulière, de brocarder tout son monde, de balancer ses coups de cœur et ses coups de griffes, avec la spontanéité, l’espièglerie d’un môme qui adore faire des bêtises et choquer les bonnes âmes.
Avec aussi les mots choisis du côté de San Antonio, qui ne tarit pas d’éloges sur ce franc-tireur de la chanson française : « un super-champion, un infini pas con. le prince du pavé ». De quoi faire rougir Renaud le persifleur, qui continue de couper sa France en deux et avoue malicieusement : « J’aime me choquer moi-même. L’écriture me défoule, c’est le seul moment en dehors delà scène où je peux dire tout ce que j’ai sur le cœur. »
Ce qu’il fait et qui lui réussit depuis ses débuts il y a douze ans. Tour à tour teigneux et tendre, rêveur et révolté, anar et généreux, et aujourd’hui complètement papa gâteau pour sa fille, Lolita, six ans et demi. Un personnage tout à fait à l’image du concert qu’il a donné en avant-première, vendredi soir, à Montpellier et dont la recette est allée aux sinistrés de Nîmes.
Sans rien perdre de son mordant, de son ton juste et populaire, ni de ses maladresses de grand timide, il a chanté avec bonheur ses morceaux de bravoure (Jonathan, Miss Maggie, Tu vas au bal, Hexagone), s’offre une reprise du Temps des cerises, et dédie toujours à sa petite Lolita quelques superbes chansons comme Morgane de toi, Mistral gagnant, Petite, Il pleut.
Ravi de reprendre le chemin des écoliers, Renaud y met d’autant plus de cœur que, faute d’avoir joué le jeu de la promotion tous azimuts lors de la sortie de son nouvel album (Putain de camion, chez Virgin) au printemps dernier, il n’a pas fait de score au Top 50 et se retrouve aujourd’hui dans la situation d’un chanteur « piégé », sans un titre vedette vraiment connu du public. II est obligé de monter au créneau et de compter sur le bouche â oreille pour rester un mois au Zénith, au pied de cet arbre qui lui a été inspiré par la lecture de Jean Giono. Dur métier !
Jean-Luc WACHTHAUSEN.
Source : Le Figaro