ARTS + SPECTACLES
JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE

Renaud
C’EST UN RENAUD bien changé qui renouait hier avec le public montréalais. De retour après 9 ans d’absence, le chanteur affichait le poids des années et de sa peine d’amour.
48 ans – l’air de plus – Renaud a désormais la tignasse grise. La silhouette de moineau a épaissi, la « chetron sauvage » aussi. Dans le hall du Spectrum, une vieille photo du chanteur, blouson de cuir, sourire narquois, mince comme un sandwich S.N.C.F, nous signale comme le temps passe…
Qu’importe. Passée la surprise, c’est une ovation monstre qui l’accueille à son entrée sur scène. La salle au complet se lève pour chérir le chanteur, qui n’a pas encore poussé une note. On consomme les retrouvailles. À ses côtés, comme promis, on retrouve un pianiste et un guitariste, l’impeccable Titi Buccolo. Pour l’accordéon, il faudra se contenter de celui que le chanteur a de cousu sur sa chemise.
Deux chansons pour casser la glace et le dialogue s’installe. Pendant que le public lui réclame ses classiques (ce qu’il fera avec de plus en plus d’insistance tout au long du concert) Renaud fait le point sur sa vie, réitère son intérêt pour la cause québécoise. Une réflexion sur l’indépendance (« ça va venir… ») puis il s’excuse presque de nous avoir abandonnés si longtemps. Mais il avait ses raisons. « J’ai fait du cinéma, j’ai arrêté de fumer, je suis redevenu célibataire », lance-t-il, comme pour se justifier.
Sous des dehors fatigués, Renaud n’a rien perdu de sa verve et de son humour. Les monologues sont parfois drôles, le « bitchage » fréquent. Et vlan dans les dents pour l’impérialisme culturel québécois ! Garou, Bruno Pelletier, Lara Fabian, Isabelle Boulay passent tous dans le tordeur. « On a assez de chanteurs à la con chez-nous, gardez les vôtres ! ».
Mal le connaître, on le penserait jaloux. Car Renaud n’a franchement rien d’un athlète de la corde vocale.
On le savait mauvais chanteur, mais cette fois c’est pire que tout.
Sa débâcle amoureuse aurait-elle à ce point fait des ravages ? Au chapitre de la fausse note, Renaud a désormais dépassé son frère Thierry – ce qui n’est pas peu dire. Il le sait et l’avoue d’emblée, question de crever l’abcès : « je chante mal mais je suis gentil ».
Le public lui pardonne, mais ne cache pas son incrédulité devant ce Renaud courageux, qui étire inutilement ses notes dans de longs râles souffrants. Un peu de « talk over » peut-être ? Chose certaine, certains ont mal à leur Renaud. À mi-chemin entre malaise et perplexité, des fans déçus quitteront même la salle, en demandant d’être remboursés. Dur dur…
Mais Renaud – le personnage – remplit la commande. Au-delà de l’irritant vocal, le chanteur se fait touchant dans ce spectacle aux allures de thérapie. On le croirait presque quand il nous dit qu’il a Cent ans. Puis il refait En cloque et les cordes sensibles se remettent à vibrer. Lentement mais sûrement, le chanteur repasse les titres les plus tendres ou les plus caustiques de son répertoire : La pêche à la ligne, Morts les enfants, Petite conne, et Germaine, dans un rare accès d’insouciance. Le public chanterait bien avec lui si ce n’était de cette voix… qui se replace temporairement le temps d’un Déserteur qui n’a pas pris une
ride.
Bien peu de nouvelles chansons au demeurant. Normal : Renaud serait en panne d’écriture. Mais l’émotion est palpable quand il entonne Boucan d’enfer, la seule inédite de son spectacle, une chanson sur sa séparation. « On connaît le bonheur paraît-il/au bruit qu’il fait quand il s’en va. »
Heure de tombée oblige, c’est La Presse qui a dû partir. Mais au moment d’écrire ces lignes, on apprenait que le « chanteur énervant » en était à un quatrième rappel. De la part des fans, la preuve d’une indéfectible fidélité… même si Renaud jouait hier sur ses acquis. Cette mini-tournée « unplugged » aurait pour but de le ramener vers l’écriture. Lui ramènera-t-elle aussi sa voix ?
Source : La Presse