RENAUD : Auteur, compositeur, interprète

THV

Février 1979

SAMEDI INCLUS – PRIX : 16 F

du 13 au 17 mars

Hissé au sommet des hit-parades grâce à un « tube » lar­gement diffusé par les médias, Renaud mérite mieux que le simple souvenir de ce fameux « Laisse béton ». Son talent ne se mesure pas à la seule aune de ce succès éphémère. Il a, en dix ans d’expériences, eu le temps de mûrir et de s’exercer sous di­verses formes.

La phase préparatoire

En mai 68 d’abord, alors qu’adolescent il compose ses premières chansons dans la fiè­vre des événements avec, selon ses propres termes :

« Une spontanéité semblable à celle qui fait pousser les bar­ricades et avec une naïveté comparable à celle qui les fait s’écrouler ».

Quand, ensuite, il renoue avec la tradition disparue des chanteurs de rues et interprète les plus beaux fleurons du répertoire populiste aux ter­rasses des cafés et dans les cours d’immeubles.

Enfin, sur les scènes de La Pizza du Marais, de la Veuve Pichard, de la banlieue et de la province où il chante ses propres œuvres. Celles que lui inspire l’univers des « escarpes » et des « marlous » et celles, d’un vocabulaire plus moderne, en prise directe sur la réalité contemporaine. Ainsi « Hexagone » dans lequel il dresse avec une verve icono­claste un violent réquisitoire contre la médiocrité et les tra­vers des Français.

Le folk urbain

Mais, l’univers que dépeint Renaud, c’est la ville. Et, plus précisément Paris et sa ban­lieue : près de la moitié des trente-cinq chansons qu’il a enregistrées à ce jour en témoi­gnent. Citadin, Renaud est l’in­terprète de ce qu’outre-Atlantique on appellerait sans doute le folk urbain.

C’est la ville, son béton et ses mythes, qu’il met en scène. Ainsi que ses émanations : la « zone » avec ses bandes de jeunes et un personnage cen­tral : le loubard. Qu’importe qu’il le soit lui-même ou pas. Le texte qui conclut désormais son spectacle apporte d’ailleurs à cet égard une réponse claire : Renaud démystifie son person­nage. Mais il est certain en revanche qu’il s’identifie à l’uni­vers du loubard. Il l’intègre, le ressent et le traduit. Non sans l’adapter à sa propre personna­lité.

Une pseudo violence et une vraie tendresse

De ce fait, nombre de ses chansons doivent être enten­dues au second degré. Ainsi s’il chante la violence, est-ce la plu­part du temps avec l’esquisse d’un sourire ou l’amorce d’un clin d’œil qui atténuent voire contredisent le propos. Au menaçant « Sors dehors si t’es un homme », Renaud s’em­presse de répondre dans l’un de ses textes : « Moi, dans ces cas- là, je sors pas ». Et, quand il s’in­vente des « castagnes », c’est probablement pour mieux les rallier et conjurer ainsi les démons d’une pseudo violence agressive et triomphante. Certes, pour les besoins de la cause, il n’hésite pas à puiser dans l’arsenal de la mythologie des loubards et au magasin des accessoires de leurs symboles. Il emprunte un système de valeurs qui lui est en partie étranger et qu’il tend en appa­rence à idéaliser. De même, il se forge un personnage bardé de cuir, cheveux décolorés et bras tatoués, dont les jambes arquées épousent parfaitement la forme d’une Harley. Enfin, il use d’un langage spécifique (argot ou verlan) qu’épice un accent qu’il se plaît à cultiver.

Mais sous ce camouflage, perce un être fragile et tendre dont la devise personnelle pour­rait être : « Ni haine, ni arme, ni violence ». Sensible, sentimen­tal et candide, ce Renaud-là s’affirme et s’épanouit entre autres dans « Pierrot », « J’ai la vie qui me pique les yeux » ou dans « Ma gonzesse », chanson dans laquelle on relève cette confidence : « Malgré le blouson clouté sur mes épaules de velours, j’aimerais bien parfois chanter autre chose que la zone… »

Une tonne de cafard…

Renaud promène sur le monde qui l’entoure un regard chargé de l’innocence et de la naïveté d’un enfant : « Dans ma tête j’ai quatorze ans », admet-il. Il n’est pas pour autant aveugle et ses chansons témoignent aussi d’un quotidien que ronge l’alcool de tous les désespoirs. Cédant à l’angoisse et au mal de vivre, il écrit d’une plume trem­pée dans l’encre de la déprime : « Au bistrot du temps qui passe, j’bois un verre à la terrasse, j’me dis qu’à l’école de l’angoisse, j’suis toujours le premier de la classe. Me racontez pas d’his­toires, la vie c’est une tonne de cafard… » (« J’ai la vie qui me pique les yeux »). Chez lui, la réalité s’incarne aussi parfois dans un fait divers qui lui sert de prétexte à une parodie ou à un pamphlet. La chanson se nour­rit alors de l’air du temps (« Der­nier bal ») ou de l’actualité (« les Charognards »). Ce der­nier texte, sorte de reportage chanté et chef-d’œuvre du genre, décrit en quelques cou­plets un véritable microcosme où se côtoient un boulanger raciste, un ancien para d’Indochine, un jeune blouson de cuir, une jeune fille qui n’a pas dix-sept ans, un « père béret bas­que » et « Monsieur blanc cas­sis ». Personnages stéréotypés, réduits à l’essentiel tant les traits en sont forcés. Mais ils n’en sont que plus probants. D’ailleurs, les chansons de Renaud adoptent souvent la forme d’une caricature et bon nombre d’entre elles supporte­raient certainement d’être trans­crites en bandes dessinées.

C’est au cœur, que Renaud s’adresse. Dans un langage simple, direct et vivant, pétri d’images et truffé d’expressions argotiques, qui irrigue des textes corrosifs et acides, grin­çants et amers, drôles et paro­diques, lyriques et tendres… Un cocktail d’humour, de gouaille, d’ironie et de dérision qu’il serait malhonnête de réduire à la plus simple expression d’un « tube » passager.

JACQUES ERWAN

Pour faire connaissance avec Renaud :
Disques Polydor 2393.105 – Polydor 2473.071 – Polydor 2473.095


EXTRAITS DE PRESSE

Quand il dit « j’ voudrais crever avant d’être moche », je le crois. A part ça, pittoresque ou non, le monde des loubards ne lui appartient plus : lui est sur la scène. Sur scène, Renaud est autre chose qu’un « créneau » dans le show-bizz, autre chose même que la démystification plus ou moins convaincante d’un monde mai connu. Il passe dans son regard et son sourire ce qui ne passe pas dans sa voix rudi­mentaire et les musiques mar­rantes qui l’enveloppent : une tendresse profonde, un défi obscur, une connivence.

Marie-Ange Guillaume
Le Monde de la Musique, sept 78

Ce petit truand, pardon, ce petit Bruant, avec ses allures d’ado­lescent dégingandé, ses longs cheveux blonds, Renaud chante dur et vrai. Il parle de ses copains de lycée « car si je dis d’orphelinat, vous ne compren­drez pas ». La salle reprend en chœur, spontanément un refrain où il évoque l’Allemagne.

Puis soudain c’est le choc au cœur : un projecteur isole son visage pâle dans une lumière bleue, l’ombre de ses mèches dessine sur ses joues de longs cils que l’on dirait peints comme ceux d’un clown, le col de son chandail devient collerette, et c’est pour la chanson de Pierrot un dessin de Willette qui appa­raît.

Le Figaro, 12/77

Paris a son troubadour. Il s’ap­pelle Renaud. Troubadour dans le sens des chanteurs du Moyen Age, grâce auxquels les nou­velles parvenaient de ville en ville. Aujourd’hui on n’attend plus après les chanteurs pour apprendre les informations. Mais dans cent ou deux cents ans, les chansons de Renaud donneront une Idée partielle mais exacte de ce qu’était une réalité parisienne en 1977. « Je suis un loubard périphé­rique » chante Renaud. Fils natu­rel d’Aristide Bruant et de Fran­çois Béranger, son univers est fait de H.L.M. de mobylette, de blouson de cuir et de violence.

Le Courrier Républicain de l’Ile de France.

  

Source : THV