RENAUD : Aux armes les beaufs !

Rock & BD

N° 18, septembre 1983

PLEINS FEUX
(Photo Mario) Renaud et Jean-Marc Marty

La scène se situe en coulisse, après le concert, en fait l’un des nombreux concerts de la tournée d’été du chanteur-auteur compositeur. Le chanteur (RENAUD) vient retrouver l’interviewer (votre serviteur) dans une loge exiguë mais confortable, ils ouvrent une bière, allument une cigarette. C’est l’interviewer qui commence :

ROCK & B.D. : Alors, content de ton concert ?

Renaud : Ouais ! C’est ma première tournée d’été, c’est pas le même public, c’est dur de les faire bouger, de les faire venir, les gens sont fauchés… J’impose un prix des places minime mais celui qui veut venir avec sa femme et ses mômes, c’est vrai que c’est facile, dommage…

ROCK & B.D. : Tu reviens des U.S.A. où tu as enregistré un disque, pourquoi les U.S.A. ?

Renaud : J’crois que j’ai pas fini de répondre à cette question… En fait, une fois dans ma carrière, je voulais voir si tout ce dont on nous a bassiné sur les musiciens de studio américain était vrai, si l’ambiance musicale était vraiment
mieux. Alors, j’suis allé voir et c’est vrai qu’il y a une différence, une prise de son exceptionnelle, une efficacité que j’ai rarement vue en stu­dio, même si je ne suis pas un spécia­liste du studio… Disons que j’ai voulu aller là-bas et que j’étais en position de le demander, mais j’y suis allé aus­si pour m’éclater parce que l’Améri­que, la BD et la télé te bassine telle­ment que ça représente forcément quelque chose…

ROCK & B.D. : Quand on a enregistré cinq disques, est-ce qu’on peut encore être en colère contre la société ?

Renaud : C’est la question piège, ouais, c’est pas impossible, c’que j’aime pas c’est les cons, c’est le travail, la violence, l’armée, tout ce qui fait chier le monde, mais la société, j’en profite, je m’en sers pour m’exprimer. Si j’étais russe ou chilien, j’essaierais même pas, j’me tirerais, ici, on peut encore s’exprimer, contester. J’suis en France et c’est en France que certains trucs me font chier, ça fait trente ans que j’trempe là-dedans…

Rock & B.D. : Les H.L.M., les beaufs, l’armée, c’est un thème qu’on retrouve dans la B.D. avec des gens comme Cabu, Reiser, etc. Tu as tenté l’expé­rience de la B.D. avec Gérard Lam­bert ?

Renaud : Ouais, mais je ne suis pas du tout content du résultat, on a fait ça beaucoup trop vite, le dessinateur ve­nait me réclamer la suite du scénario et moi, j’lui faisais ça sur un coin de table en un quart d’heure… C’est quel­que chose que j’avais envie de faire depuis longtemps mais là, on a vrai­ment bâclé, c’est dommage…

Rock & B.D. : Personnellement, je te sens beaucoup plus proche d’une cer­taine tradition de la chanson française que du rock, qu’en penses-tu ?

Renaud : J’y tiens, j’me sens bien mieux à chanter « En cloque » avec une guitare, un piano et un accordéon, qu’une chanson comme « Auto-stop­peuse » ou « Loulou », une espèce de parodie de hard-rock mais sur scène, ça me défoule complètement. D’ail­leurs, 90 pour cent des gens que je rencontre préfèrent les chansons dou­ces… L’autre jour, à mon concert ils étaient presque 1 500 à reprendre en chœur « Germaine », c’est jamais qu’une pauvre valse musette, une chanson à boire et puis le lendemain, ils allaient applaudir AC/DC…

C’est peut-être tout simplement cela qui s’appelle avoir du talent…

Jean-Marc MARTY

  

Source : Rock & BD