«Rouge sang» est le douzième album studio du «poète anar». Ni le meilleur ni le pire. Quatre ans après son retour et sa «victoire sur l’alcool et la dépression» qui lui a valu un succès énorme, rencontre et mise au point avec une gâchette de la chanson qui a récupéré sa mitraille.
Vingt-six titres pour le double album collector, dix-sept pour la version standard. Dans son douzième album, Renaud a la plume leste. Il disperse et ventile large façon Audiard, Desproges ou Coluche, défunts amis. La critique sociale est au rendez-vous – ce qui lui vaut quelques inimitiés -, tout comme des strophes amoureuses et des chansons fantaisistes. Mise au point avec le chanteur aux éternels jeans et santiags. La chemise noire et la cravate jaune revêtues pour la promotion ne veulent pas dire embourgeoisement ni même résignation. Réponses du tac au tac.
Le malentendu des «Bobos»
«Toute la presse bobo, qui se dit de gauche, m’a assassiné avec parfois l’insulte, la calomnie, voire la diffamation. Ils croyaient voir dans ma chanson «Les bobos» une critique à leur égard alors que je me contentais de faire le portrait d’une classe sociale, dans laquelle je m’incluais qui plus est. C’est une chanson moqueuse qui a été prise pour un brûlot où je leur reprochais de lire Philippe Djian ou d’écouter Françoise Hardy. Alors que je les aime moi aussi! «Mon beauf» il y a vingt-cinq ans était beaucoup plus virulente. Quand je m’en prends à quelqu’un, comme dans «Miss Maggie» à l’époque, c’est autrement plus violent. D’autant que «Les bobos» est aussi une chanson faux-cul, où j’ai fait exprès de taper large pour que tout le monde se reconnaisse car on est toujours le bobo de quelqu’un. Moi y compris. Tout le monde s’est déchaîné, voyant dans la constance de mes engagements, parfois un peu naïfs ou utopiques, la preuve de leur propre renoncement, de leur trahison ou de leur embourgeoisement. Les mêmes qui se sont pourtant répandus en louange il y a quatre ans sur Boucan d’enfer, ni mon album préféré ni le meilleur, me renient aujourd’hui en me traitant de poivrot. Mon bonheur les énerve sans doute. Ils préféraient me voir en artiste maudit, alcoolique…».
Pas de changement de style
«Ma plume a toujours été partagée entre les chansons fantaisistes, les chansons d’amour et les chansons-colères où je critique le monde et sa barbarie. A l’époque de Boucan d’enfer, j’étais au fond du trou. Le monde m’était totalement indifférent. J’étais presque aveugle, je souffrais d’une double cataracte et j’avais perdu 80% de ma vision. Je ne lisais plus les journaux, je ne regardais plus la télé, le monde me désespérait. Je ne pensais qu’à mon monde à moi, mon monde intérieur qui était en ruine. Quand j’ai retrouvé le bonheur, la santé, l’amour, j’ai continué à écrire comme je l’ai toujours fait: des chansons où je fais part de mes sentiments et de mes idées. J’ai retrouvé ma vraie fonction avec la joie de vivre, ma vraie passion sur cette planète: l’écriture et les mots. C’est aussi une période fertile puisque j’ai écrit trente chansons pour moi et douze pour le prochain disque de ma femme Romane Serda.»
«J’ai retrouvé mon flingue!»
«C’est évidemment une chanson en forme de clin d’œil au passé et à «Où c’est qu’j’ai mis mon flingue?» (1980). C’est aussi un clin d’œil à mes adversaires qui me reprochaient de l’avoir perdu alors que, lorsque je l’avais, ils m’accusaient d’être populiste, démago, naïf et manichéen. C’est encore une manière de dire à mes fans, qui sont particulièrement critiques et ne me pardonnent rien, que je n’ai pas aseptisé mon écriture. Vous voulez que je balance? Alors j’vais vous dire ce qui me fait gerber dans ce monde. Avec ce petit catalogue de mes indignations les plus fondamentales, presque tout le monde est servi. Il y a 25 couplets mais j’aurais pu en écrire 150 en traitant toute l’actualité, du moindre fait divers au dernier des génocides ou des obscurantismes.»
Refus de la résignation
«J’ai l’impression que mes détracteurs me reprochent de ne pas être résigné bien que l’époque ait changé. On me traite de soixante-huitard attardé. Soixante-huitard, oui. Je garde l’esprit rebelle de mes 16 ans. Cette révolution sur laquelle ils se plaisent à cracher à présent a tout de même changé la société et les mœurs en profondeur; elle a fait souffler une liberté neuve et son corollaire parfois, l’abus de liberté. La constance de mes colères et de mes indignations peut agacer les conformistes, les consensuels et les directeurs de conscience politiquement corrects! Il semble en tout cas aujourd’hui qu’il y a plus de sectarisme, de manichéisme et de conformisme à gauche qu’à droite. Mais je ne voterai pas à droite pour autant.»
«Elle est facho»
«Je voulais me foutre de la gueule du Font national, des idées de haine, d’exclusion, des idées rétrogrades. J’ai pris une électrice lambda vivant en banlieue. C’était plus paradoxal de voir des êtres féminins sensibles aux arguments violents et populistes, alors qu’elles sont plus enclines à la tendresse, à la fraternité et à la générosité que les hommes. J’ai recensé tous les clichés pour finir par dire «Et elle vote Sarko». Nouvelle polémique en France parce qu’on pensait que je traitais Sarko de facho. Reste que ce n’est pas contradictoire d’imaginer que l’électorat du Front national votera Sarko au deuxième tour face à un candidat de gauche.»
Source : Le Temps