Virgin
Biographie :
Ecrite par Didier Varrod :
Plus d’un septennat à se morfondre en attendant des nouvelles de lui, l’éternel visage pâle résistant dans cet hexagone boursouflé et griffé par des renoncements successifs. Allez, on peut se l’avouer, on avait peur pour lui, qu’il nous laisse définitivement sur le bas-côté de la marche du monde. Et puis, il revient, il est là. Enfin.
Toujours en mai, comme si c’était lui le printemps, la fête du travail, des grands soirs et des révolutions. Toujours debout aussi, même s’il vivait à l’abri pour éviter la barbarie des glands médiatisés en héros.
Docteur Renaud, tapi dans l’ombre, avait mal au cœur, donnait encore sa langue au chagrin et broyait le noir de ses idées, suffisamment fatigué pour que l’on respecte son silence. Il avait pourtant fait bien des efforts pour sortir de sa tanière et aller émerveiller les théâtres de cette France qui coule dans ses veines. C’est donc à la scène, comme un fil tout dénudé, qu’il consacre alors l’essentiel de son énergie parfois chancelante. Et devant son public de 7 à 77 ans, parfois aussi inquiet et meurtri d’écouter l’ange blond offrir ses chansons dans leur plus simple appareil, il trouble encore tout ce qu’il touche. Une guitare, un piano et Renaud, ça fait tout de même 250 000 spectateurs qui ont chaviré, ravis, à la redécouverte d’un répertoire où les mots sont à la chanson ce que le palpitant est à l’homme. Une œuvre sans bavure et furieusement humaine.
Mais la vie sépare aussi parfois ceux qui s’aiment et Renaud s’est retrouvé bien seul, assis devant la porte cadenassée de l’amour. Il a beau avoir porté tous les surnoms de la terre, de la chetron sauvage à la teigne aux cheveux jaunes, on sait aussi que Renaud était l’amoureux d’une seule gonzesse. La sienne, celle qu’il était avec, et qui faisait que nous étions rassurés de le laisser évoluer dans cette chienne de vie, loin des vrais méchants, avec cette carrure de sandwich S.N.C.F. qui ne fait assurément pas le poids lorsque la terre tremble sous vos pieds. Renaud balayé par ce cyclone émotionnel sait être honnête et avoue aisément que son mal au cœur n’était pas le seul fait de sa rupture amoureuse et que la danse des démons était venue le narguer bien avant.
Mais voilà, l’amour se faisant la belle, Renaud a pris la tangente vers le comptoir tamisé d’une brasserie Parnassienne. Et c’est ainsi que Mister Renard a pris sa place dans la valse à mille temps des assoiffés et des déçus de l’amour. Des jours et des nuits à se morfondre sur la banquette de ce confortable bistrot des âmes sans collier, à guetter dans l’eau frappée d’une fontaine de Ricard la vision d’un amour prisonnier d’un glaçon. À l’étrange jeu de qui boit gagne, Renaud a perdu l’envie d’avoir envie. Le renard, lui, croyait que sa chandelle était morte et qu’aucun Pierrot ne saurait lui prêter sa plume pour écrire des mots. C’était sans compter avec la force vitale du Renard. Il fallait vivre, retrouver le goût de l’eau et l’envie de guérir ses blessures.
Vint alors le temps du déclic. Un pari simple entre deux potes qui avaient pris rendez-vous sur le boulevard des bouleversés : « Tu écris une chanson contre une bonne dernière cuite !… » Ça vaut bien le maillon fort ou le juste prix. Le renard va finalement s’exécuter. Sans forfanterie, avec malgré lui tous les stigmates de l’animal qui n’y croit plus. Il va dicter la chanson, figure et thème imposé. Faire une chanson sur l’homosexualité qui renouvelle le genre pour réussir un contre-champ contemporain à l’éternel « Comme ils disent ». Trois quarts d’heure en improvisation, comme en freestyle, ce qui accrédite une fois de plus que le rap doit beaucoup à Renaud, et la chanson était prête. « Petit pédé » où tarlouzes et hétéros sont naturellement dans le même bateau de l’amour. Ça sonne juste et élégant.
Renaud une fois de plus, là où on ne l’attendait pas. L’auteur a eu finalement raison du renard pourtant connu pour sa ruse, puisque dans les trois semaines qui ont suivi, huit nouvelles putains de chansons sont sorties du boucan d’enfer que fait le cerveau lorsqu’il ne turbine plus à l’EPO anisé. Des textes comme des petites perles de vie qui cicatrisent le mal d’aimer. Paroles sans musique. Auteur oui. Compositeur non. Ou presque pas à l’exception de « Elle a vu le loup » qui n’est pas sans nous rappeler que Renaud lors du dernier bal de « La belle de mai » avait déjà anticipé en dédiant à son futur gendre une de ses chansons. La verve plumitive retrouvée, Renaud a prêté ses textes à Jean-Pierre Bucolo et Alain Lanty, complices bienveillants qui vont ainsi l’aider à se remettre sur le droit chemin de la note bleue. Bucolo dans un registre électrique, pop et aérien, Lanty davantage dans celui de madame la tradition. Avec la grâce et l’oxygène du recommencement. Bonheur retrouvé ? Léo Ferré disait que « le bonheur, c’est du chagrin qui se repose… ». Le nouveau disque de Renaud, il est comme ça de bout en bout.
« C’est quand qu’on va où ? » disait le chanteur énervé lors de son précédent disque. Aux studios I.C.P., à Bruxelles, avec tout le confort pour renaître et Phil Délire pour donner de l’ampleur à ces nouvelles de Renaud. « Docteur Renaud, Mister Renard » ou comment faire de la condition schizophrénique de l’artiste une chanson, pardon un tube, qui renvoie les académiciens showbiztiques à leurs chères études. « Je vis caché », « Cœur perdu », « Tout arrêter », « Boucan d’enfer », « Mal barrés » illustrations magnifiques de cette insolite « désabusion », mot inventé par le solitaire et acéré Nino Ferrer pour accentuer l’aquabonisme Gainsbourien. « L’entarté », « Mon nain de jardin » pour toujours mettre si possible les rieurs de son côté. « Baltique » pour confirmer une fois de plus qu’un cœur de huguenot, c’est aussi fidèle que le chien orphelin d’un président qui a enfin pu voir si Dieu n’avait jamais sollicité le suffrage universel. Et puis Renaud toujours concerné sait encore heureusement pleurer la détresse du monde. « Manhattan Kaboul » bombe radiophonique d’après le 11 septembre, avec Axelle Red si fragile et convaincante pour dire la dureté et l’absurdité du monde, ou « Corsic’armes » parce que l’île de beauté n’en finit pas de s’abîmer au contact de la sauvagerie de ses héros ni tout à fait blancs, ni complètement noirs. Renaud s’éveille et conclut cette renaissance par « Mon bistrot préféré », hommage aux grands esprits assoiffés de bons mots et épris de cette marge où il fait encore bon respirer. Et c’est ainsi que Renaud ressuscité fourmille de projets où le futur est à nouveau réjouissant. L’écriture d’un livre, journal intime des années noires à travers le regard des intimes de la Closerie. Un retour inattendu au cinéma dans une comédie policière peuplée de géants : « Crime spree » (la spirale du crime) avec Gérard Depardieu, Johnny Hallyday et Harvey Keitel. Et déjà, à l’horizon de décembre, un retour en première division avec une prise du Zénith de Paris, histoire aussi de se souvenir que Renaud fut le premier locataire de cette salle où les briquets font briller l’unisson. Pour finir, Renaud semble avoir trouvé enfin une réponse à sa question : « A quoi bon avoir les jambes droites pour arpenter ce monde tordu ? » : simplement pour avoir eu le plaisir extrême de fouler le passage clouté d’Abbey Road. D’abord pour le mastering de son renouveau. Mais aussi et surtout pour signifier que, de la traversée du désert à la traversée du désir, il n’y a qu’un pas qu’il suffit de franchir seul sur les traces d’une légende. Celle par exemple d’un garçon dans le vent de 50 balais. Qui d’autre ?
Source : Le HLM des fans de Renaud