FORCES PARALLÈLES
CHRONIQUES ÉLECTRIQUES
Par MARCO STIVELL le 20 Mars 2013
(Note réelle : 3,5)
Entre fin 1991 et début 2001, RENAUD effectue une tournée « Une guitare, un piano et Renaud », appuyé par ses vieux complices Alain Lanty, le pianiste, et Jean-Pierre Bucolo, le guitariste -et compositeur de « Miss Maggie »-. Ceux-ci tentent en effet de sortir le chanteur énervant de la morosité qui l’accable depuis environ cinq ans, et à propos de laquelle les rares prestations télé survenues entretemps n’ont pas menti. Nostalgique de son enfance, démoli par la mort de différents proches et finalement délaissé par sa femme Dominique dont il divorce, RENAUD se laisse sombrer dans l’alcool et habite en ce début de millénaire au-dessus de la brasserie Closerie des Lilas à Paris (« la Close » comme il dit) avec son frère Thierry. S’il s’oublie lui-même, ce n’est pas le cas de sa famille, de ses amis, ni du public.
RENAUD s’identifie à Gainsbourg et Gainsbarre et révèle le personnage du Renard, sa mauvaise conscience. Ladite tournée assez importante le dévoile usé jusque dans la voix, mais est déjà un départ visant à laisser RENAUD reprendre le dessus sur Renard. C’est ce que tente de dire la première chanson du nouvel album, appelée très justement « Docteur Renaud, Mister Renard ». Ce nouvel album déclenche véritablement le moment de sa renaissance, lorsque son copain journaliste Pascal Fioretto lui demande d’écrire une chanson sur lui en échange d’un verre (ce sera « Petit Pédé ») et ensuite lorsqu’il rencontre Romane Serda, sa future femme, qui le convainc d’arrêter de boire. Boucan d’Enfer est enregistré aux studios ICP à Bruxelles (de nombreux artistes populaires français et belges y sont passés) et masterisé aux studios Abbey Road, excusez du peu. Titouan Lamazou, le navigateur et artiste marocain, vient apporter quelques pastels de couleurs chaudes pour l’occasion. En revanche, Abbey Road ou pas, ce disque ne s’impose pas comme un poids lourd dans la carrière du chanteur, qualitativement parlant. Il sert essentiellement à le délester lui-même d’un poids et offrir un retour néanmoins prometteur.
Côté textes, il y a donc un peu comme toujours une certaine dénonciation, mais politiquement très mesurée puisqu’elle concerne essentiellement RENAUD qui, en tant que bon contestataire et un peu plus équilibré que d’autres pour le coup, ne se rate pas. Ce disque est très auto-flagellant autant que thérapeutique, puisque la tristesse d’avoir perdu Domino lui fait écrire des choses comme Mon cœur ressemble à Tchernobyl et ma vie à Hiroshima, pourtant y a bien pire que mourir, y a vivre sans toi dans la chanson « Boucan d’Enfer », sans oublier d’autres élans mélancoliques-dépressifs-pessimistes comme « Mal barrés » et « Cœur perdu » (accordéon au rendez-vous). Des chansons souvent conduites par le piano d’Alain Lanty et des arrangements minimalistes. Jean-Pierre Bucolo commence à installer sa touche personnelle dans les arrangements mais principalement sur les morceaux pop-rock saupoudrés d’éléments folk et country, à commencer par les deux singles gagnants que sont « Docteur Renaud, Mister Renard » et le brûlot « Manhattan-Kaboul », écrit par rapport au 11 septembre et que RENAUD interprète avec Axelle Red, dont il dit en interview avoir toujours apprécié le talent et le joli minois.
Côté humour, nous sommes servis avec « Mon nain de jardin » ou bien « L’entarté », dédié à Georges Le Gloupier et à ses frasques à base de crème pâtissière. « Elle a vu le loup », présentée lors de la tournée 99-2001, nous offre un nouveau dialogue avec Lolita. « Je vis caché » appuie savoureusement sur les dérives de la télé, devenue à ce moment-là prétendument ‘réalité’. « Petit pédé », pleine de tendresse, nous rappelle que qu’on soit tarlouze ou hétéro, c’est finalement le même topo, seul l’amour guérit tous les maux. Pour le coup, on peut dire que, même si la plume de RENAUD est moins habile et plus ‘imbibée’ (c’est le cas de le dire), il reste quelques savantes tournures qui marquent l’auditeur de manière durable. La voix, quant à elle, paraît à la fois éprouvée et éprouvante, poussant souvent une note à celle qu’elle désire réellement attraper, laborieusement. Néanmoins, les chansons les plus étonnantes sont les mieux cachées et, de ce fait, les plus méconnues. Ce sont aussi celles qui souffrent le moins des potentiels reproches que les fans peuvent faire aux arrangements de « Titi » Bucolo, trop simples, sans réelle étincelle (loin des Briquette et Roques) et confinés aux guitares slide. « Baltique », hommage tendre au chien de François Mitterrand, « Corsic’ armes » et son atmosphère plus dense ou « Mon bistrot préféré », rassemblement imaginaire et guilleret de tous les amis (au masculin) de RENAUD sur fond de cuivres jazzy, sont de celles-là.
Un album plutôt réussi donc, et dont la symbolique s’étend jusqu’aux ventes puisqu’elles restent les plus importantes de la carrière du chanteur (deux millions deux).
LINE-UP
– Renaud (chant)
– Jean-Pierre Bucolo (guitares acoustiques, dobro, chœurs)
– Dominique Grimaldi (basse)
– Claude Salmieri (batterie)
– Alain Lanty (piano, chœurs)
– Jean-François Berger (claviers)
– Denis Benarrosh (percussions)
– Gwenaël Micault (accordéon, bandonéon)
– Pierre Bloch (fiddle)
– Mick Larie (mandoline)
– Axelle Red (chant)
– Els Lagasse (chœurs)
– Ann De Larminat (chœurs)
– Marc Steylaerts (régie des cordes)
– Serge Plume (régie des cuivres)
TRACK LIST
1. Docteur Renaud, Mister Renard
2. Petit Pédé
3. Je Vis Caché
4. Cœur Perdu
5. Manhattan-Kaboul
6. Elle A Vu Le Loup
7. Tout Arrêter…
8. Baltique
9. L’entarté
10. Boucan D’enfer
11. Mon Nain De Jardin
12. Mal Barrés
13. Corsic’armes
14. Mon Bistrot Préféré
Source : Nightfall