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Le visage pâle de la chanson française est de retour. On savait le chanteur plus « fatigué » qu’énervé depuis « Mistral gagnant » (1985) mais cette lassitude lui allait encore bien. Avec « Miss Maggie » puis « Jonathan », Renaud avait réussi à prendre la tangente d’une banlieue ayant troqué la gouaille pour la tchatche.
Mélodies ciselées
Renaud est aujourd’hui triste.
Derrière la pochette – un portrait de l’artiste croqué par Titouan Lamazou – se tapissent pourtant quatorze belles mélodies, immédiatement reconnaissables, ciselées par Jean-Pierre Buccolo et Alain Lanty, les deux complices de la tournée « une guitare, un piano et Renaud ». La voix, réchauffée dans les Studios ICP de Bruxelles, chevrote moins que sur scène. Pour le reste, c’est au coin de l’écriture qu’on attendait l’auteur de « Hexagone » ou de « Morgane de toi ».
Docteur Renaud Mister Renard
Las ! L’amertume et le ressentiment ont fait fuir les muses tendresse et poésie du poulbot à l’orée de la cinquantaine. Il accouche d’un fourre-tout rance dans lequel se bousculent de vaines diatribes (« Je vis caché »). Le tout largement saupoudré d’auto-condescendance.
Ainsi, le premier morceau, « Docteur Renaud, Mister Renard », version Renaldienne de « Docteur Jekyll et Mister Hyde », (« le Renaud ne boit que de l’eau, le renard carbure au ricard »). Le départ de l’amour de sa vie est aussi une large source d’inspiration : « cœur perdu », « Tout arrêter », « Boucan d’enfer »…
Renaud délaisse parfois son analyse psy, pour un duo avec Axelle Red (« Manhattan-Kaboul »). Quand il pourfend l’homophobie (« Petit pédé »), le trait est lourd (« Il fait pas bon être pédé quand t’es entouré d’enculés »), bien éloigné du « comme ils disent » d’Aznavour, ou, plus récemment de la justesse d’une Lynda Lemay chantant « les deux hommes ».
BHL raillé
Auparavant si doué pour croquer le quotidien chez, par exemple, « la mère à titi », il peine à peindre le désarroi d’une autre anonyme de banlieue dépossédée de son « nain de jardin ».
On se pince à l’écoute de « Baltique », un énième hymne servile à Mitterrand via son… Labrador privé de messe d’enterrement. Il y a encore l’improbable « entarté ». Le philosophe mondain Bernard-Henri Lévy y est méchamment raillé. Lui a, au moins, déserté les terrasses Parnasiennes pour faire entendre sa voix en Afrique et en Afghanistan. A choisir…
Renaud – « Boucan d’enfer » (Virgin).
Thierry Charpentier
Copyright © Le Télégramme 30/05/2002
Source : Le HLM des fans de Renaud