FORCES PARALLÈLES
CHRONIQUES ÉLECTRIQUES
Par MARCO STIVELL le 10 Juin 2013
1993 représente un nouveau point culminant dans la carrière de RENAUD, en termes géographiques. Après l’Irlande deux ans plus tôt, son album Cante El’ Nord est l’illustration musicale de ses pérégrinations en terre ch’timi, une sorte de petit plaisir personnel que le chanteur s’offre en supplément de sa participation au film Germinal de Claude Berri qui n’avait alors pas son pareil pour adapter les œuvres littéraires du Nord et du Sud francophones en combinant renommée et sincérité. À propos de ce dernier critère, si Etienne Lantier demeure dans le conscient collectif comme le rôle principal de la courte et éparse carrière de RENAUD en tant qu’acteur, c’est parce qu’en ce qui le concerne, cette incarnation ne relève pas seulement du talent, mais aussi du naturel.
Berri dit d’ailleurs Il est Lantier, faisant ressortir dans son élocution l’évidence d’une telle affirmation. En regardant au dos de l’album, on peut apercevoir la dédicace à Solange et Oscar Mériaux, qui ne sont autres que la mère du chanteur et le père de cette dernière. RENAUD s’est visiblement toujours senti plus proche de cette partie de sa famille : Oscar, ancien mineur et militant à forte tendance marxiste s’est d’ailleurs vu dédier une chanson dix ans plus tôt, et qui figure selon les fans parmi les meilleures que l’artiste, tout aussi sensible et révolté, ait écrites. Mais depuis l’épisode de Germinal, RENAUD comprend mieux cet univers et, du coup, se rapproche de ses origines nordiques, avec un élan plus viscéral que lors de l’album suivant, consacré à la part occitane qu’il tient du côté de son père.
Le contact avec les figurants lors du tournage lui permet d’abord d’améliorer son parler ch’ti, puis de réunir quelques compositions issues du répertoire traditionnel de ces régions (Lens, Valenciennes, Vieux-Condé), et qui s’interprètent aussi bien dans les mines que les froides maisons des corons avec, pour compléter ce stéréotype volontaire -et dont les chansons sont forcément empreintes-, une chaleur que le film de Dany Boon développera avec autant de légèreté de nombreuses années plus tard. Néanmoins, comme le prouve l’album de RENAUD et comme, pour de nombreux répertoires traditionnels, on ressent une forme d’ambivalence à travers le ton employé, à la fois joyeux et triste, grâce à une volonté d’exprimer la tristesse avec humour, quand ce n’est pas l’inverse.
Pour ce faire, RENAUD pioche à travers les œuvres de certains des chansonniers les plus célèbres, comme Arthur Wéry pour l’ancienne génération (début du XXème siècle) et d’autres plus récents tels Edmond Tanière, décédé deux ans avant la sortie de l’album ou encore Simon Colliez qui participe logiquement à ce dernier. D’ailleurs, lui et Tanière s’octroient la part du lion en termes de présence concernant l’écriture ainsi que la composition des chansons. L’avantage d’une langue comme le ch’timi pour l’auditeur français lambda, c’est qu’il y trouve une version détournée de la sienne, contenant d’autres sonorités, et qui lui permet de la redécouvrir sous une apparence presque ludique, un nouveau jour -puisque pour les médias populaires, vous remarquerez qu’il s’agit toujours d’une nouveauté, même au bout de 400 ans comme pour la Bretagne.
Ainsi, dès que RENAUD interprète les premiers vers de « Tout in Haut de Ch’terril » (histoire croustillante d’un homme qui vient passer ses vacances sur un terril, à savoir un résidu d’exploitation minière, pour s’y établir finalement), nous sommes immédiatement plongés dans cet univers léger et cocasse, bien que tournant rapidement à une certaine forme de mélancolie, qu’elle soit sérieuse ou non, comme le veut le pont de la chanson. Certaines parmi les autres affichent clairement une attitude grivoise comme « Eun’ Goutt’ ed’ Jus » de Simon Colliez ou, à l’inverse, profondément triste, à l’image du très émouvant « Adieu Ch’terril d’Rimbert », le clou du disque.
Indépendamment de l’humeur, on trouve dans quelques chansons des références à l’époque de leur écriture, aussi claires qu’étonnantes, renforçant le côté ‘sourires’ (Johnny Hallyday, mentionné dans « Les tomates » de Roland Saint-Yves, récit pourtant sombre là encore). Parmi les perles d’écriture autant que de réalisation, citons encore le « Ch’méneu D’quévaux » d’Arthur Wéry, « Le tango du cachalot », l’hilarant « Y’en a qu’pour li » (un homme se plaignant du fait que sa femme lui préfère leur chien), ou le plus nostalgique « Dù qu’i sont ? » évoquant la disparition de tout un univers certes rude, mais tellement charmant, et d’abord pour ceux qui l’ont vécu.
Musicalement, ce disque est réalisé en collaboration avec Jean-Louis Roques, l’accordéoniste fidèle de RENAUD depuis près de quinze ans, ainsi que de Thomas Davidson Noton, l’un des façonneurs principaux de l’orfèvre Marchand de Cailloux. Le contrebassiste Yves Torchinsky et d’autres musiciens du cru officient tout le long ou, pour certains, en guest comme le percussionniste Fred Savinien-Caprais et le joueur de scie musicale Maurice Dalle, ce qui prouve le soin apporté aux arrangements.
Contrairement au disque précédent, toute trace de modernité est ici absente : pas de synthétiseurs, ce qui permet à RENAUD de développer une esthétique davantage acoustique par opposition aux années 80 et comme le confirmeront les disques suivants. Le chanteur (qui met lui-même beaucoup de cœur dans son interprétation) et le restant de l’équipe ont réussi à sortir une bonne partie des chansons du carcan des oldies, les vieilles chansons populaires traditionnelles, même si l’on trouve logiquement du tango, quelques élans festifs binaires et des valses héritées de la java, ‘à l’ancienne’ et en guise d’écho au live de 1980. Les couleurs jazzy (apport de saxophones et de cuivres sur trois ou quatre chansons), classisantes, latino et country demeurent tout à fait appréciables, de même que l’investissement de RENAUD dans sa volonté de repopulariser des hymnes comme « M’Lampiste » et « Tout in haut de Ch’terril », de donner une seconde jeunesse à cet univers de manière plus détachée et intimiste que le film de Berri, dont Cante el’ Nord constitue un sympathique complément pour qui voudrait creuser un peu dans cet univers, sans aller jusqu’à le faire dans la mine.
Malgré cela, et en dépit d’une Victoire de la Musique, il est certain qu’à plus forte raison pour un artiste français comme RENAUD, une telle expérience demeure spécialisée, et peu de personnes citent cet album parmi leurs favoris, sauf si elles vivent ‘du côté d’Fouquières’.
LINE-UP
– Renaud (chant)
– Jean-Louis Roques (accordéon)
– Cyrille Wambergue (piano)
– Yves Torchinsky (contrebasse)
– Didier Roussin (guitares)
– Guy Gilbert (batterie, chœurs)
– Simon Colliez (chœurs)
– Pascal Beclin (chœurs)
– Yul Eisbrenner (chœurs)
– Marc Lys (trombone)
– Gilles Cagin (saxophones)
– Florian Cadoret (clarinette)
– Maurice Dalle (scie musicale)
– Fred Savinien-Caprais (percussions)
– Thomas Davidson Noton (harmonium, piano punaise)
TRACK LIST
1. Tout In Haut De Ch’terril
2. El Pinsionnée
3. Ch’méneu D’quévaux
4. Les Tomates
5. Le Tango Du Cachalot
6. Adieu Ch’terril D’rimbert
7. Eun’ Goutt’ Ed’ Jus
8. M’lampiste
9. Y’in A Qu’pour Li
10. Les Molettes
11. I Bot Un D’mi
12. Dù Qu’i Sont ?
Source : Nightfall