Journal inconnu
Mars 1986
LES GRANDES INTERVIEWS DE PATRICK SABATIER
En avant-première de son passage au Zénith (25 février-23 mars), Renaud a répondu à toutes les questions de Patrick Sabatier. Son métier, sa vie privée, l’argent, la popularité…. il a été question de tout dans ce tête-à-tête qui a duré trois quarts d’heure. Renaud, le petit dur, a montré qu’il pouvait être un grand tendre. Il a même (presque) présenté ses excuses à Margaret Thatcher !
Patrick SABATIER. — Renaud, vous êtes au Zénith jusqu’au 23 mars. Sept mille personnes qui viennent tous les soirs à votre rendez-vous, ça vous fait quel effet ?
RENAUD. — Ça me dépasse toujours un peu. Moi, j’aime bien mes chansons, alors je comprends qu’on les aime, mais à ce point !à, ça me surprendra toujours. Surtout que ce n’était pas ma vocation, ce métier. Je voulais faire comédien.
P. S. — Ça marche depuis longtemps. Mais le déclic, ça a été quoi?
R. — L’album qui s’appelle « Morgane de toi », en 1983. Depuis la naissance de ma fille, Lolita, j’ai eu envie d’élargir mon répertoire, ne plus seulement parler de ma rue et du bistrot du coin, mats de l’univers, de cette planète sur laquelle ma fille aura vingt ans en l’an 2000.
P. S. — Quel est le public de Renaud aujourd’hui ?
R. — Il paraît que je suis le Tintin de la chanson : un chanteur pour public de sept à soixante-dix-sept ans.
P. S. — Quand tu écris une chanson, tu penses au public ?
R. — Malheureusement, oui. Ce qui fait que je suis beaucoup plus exigeant et que j’écris beaucoup moins de chansons qu’autrefois. J’essaie de ne pas trop choquer, mais il m’arrive de me choquer moi-même quand, par exemple, j’écris des choses impertinentes par rapport à des grands de ce monde, des militaires ou autres. Mais il y a des jours où je sens tellement énervé par rapport à tout ça qu’il faut que ça sort. Alors, ça sort.
P. S. — Si tu avais Mrs Thatcher en face de toi, qu’est-ce que tu lui dirais ?
R. — Ben… Que je suis désolé, si j’ai heurté sa sensibilité, mais que j’ignorais qu’elle en avait une. Si j’avais su que cette chanson ferait autant de bruit… j’en aurais écrit deux. Les femmes sont moins violentes que les hommes, sauf quand on leur confie le pouvoir. Un type m’a dit « Les femmes sont aussi violentes que les hommes : regardez Catherine de Médicis, Catherine de Russie, Jeanne d’Arc, etc. » Mais ça prouve bien ce que je dis : c’est le pouvoir qui est dangereux, pas les femmes.
P. S. — C’est un peu macho comme idée, non ?
R. — Je ne crois pas Je suis ravi qu’il y ait de plus en plus de femmes dans la politique. Quand ça donne des Mme Gandhi, oui. Quand ça donne des Mrs Thatcher, non.
P. S. — Tu as eu occasion de rencontrer le président Mitterrand ?
R. — On s’est parlé une minute, lors de l’inauguration du Zénith, il y a deux ans. Une minute qui m’a paru une éternité. J’étais complètement paniqué. Il m’a demandé si le spectacle se préparait bien. J’ai bredouillé un truc du genre : « J’ai une angine », et je crois qu’il m’a répondu quelque chose comme : « Méfiez-vous des angines, moi aussi, ça m’arrive souvent . »
P. S. — Est-ce que Renaud est toujours un homme de gauche ?
R. — Je suis toujours fou de joie. D’abord parce que je me suis réveillé ce matin, qu’il faisait beau et que j’étais vivant, ce qui est très important. Ensuite, depuis mai 1968, j’ai eu des déceptions, comme tout le monde. Mais comme je ne m’attendais pas à des miracles, je ne fais pas partie des déçus. Je suis toujours un vieux fidèle.
P. S. — Est-ce que tu as conscience, aujourd’hui, d’être un leader d’opinion ?
R. — Parfois, oui. Et ça m’inquiète. C’est un grand mot, mais je pense que les artistes disent des choses d’une façon plus claire que les hommes politiques. On les dit en musique, au lieu de faire des discours. Et puis, on fait des constats plutôt que des promesses.
P. S. — Quelle différence a-t-il entre les hippies d’hier et Renaud d’aujourd’hui ?
R. — Pas énorme. J’ai beaucoup de sympathie pour ces gens-là. Ils étaient plutôt dans le vrai.
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Source : Journal inconnu