Renaud, chanteur à scandale

Le Devoir

Montréal, mardi 14 janvier 1986

ARTS ET SPECTACLES

BERTRAND ROSENTHAL

PARIS (AFP) — D’insolences et de provocations en crimes de lèse-majesté, Renaud, l’un des chanteurs populaires français en vogue, a conquis, à l’âge de 33 ans, une certaine notoriété internationale en croquant, dans son dernier disque, un portrait peu flatteur du premier ministre britannique, Mme Margaret Thatcher.

Sa chanson, intitulée « Miss Maggy », largement diffusée sur les ondes et à la télévision en France, a provoqué une violente réaction dans toute la presse britannique qui y voit une insulte et un danger pour les relations entre Paris et Londres avant le 20 janvier, date historique où le président François Mitterrand et le premier ministre britannique doivent signer l’accord sur la construction d’un tunnel sous la Manche reliant la Grande-Bretagne au continent.

La chanson dans laquelle Renaud s’imagine notamment réincarné en chien choisissant comme réverbère quotidien Mme Thatcher, et qui accuse implicitement le premier ministre britannique d’avoir couvé en son sein les hooligans responsables de la tragédie du stade de Heysel à Bruxelles, a déjà déclenché une guerre des ritournelles. Un chanteur anglais, Jeremy Nicholas, a répondu en musique sur le thème : les Français ont donné au monde « leur mauvaise haleine, le cancan et les bidets ». « Miss Maggy », elle, sera traduite et distribuée en Grande-Bretagne.

Mme Thatcher n’est pourtant pas la première victime des scandales du jeune chanteur qui, à l’image de son public préféré des banlieues parisiennes, porte blouson de cuir, foulard au cou, jeans et bottes, et parle l’argot des grandes cités-dortoirs de la périphérie de la capitale.

Renaud, héritier à ses débuts du mouvement autonome de l’après-soixante-huit, dérange. Il a déjà été interdit d’antennes pour avoir recomposé à sa manière la chanson de l’écrivain-musicien Boris Vian, Le Déserteur. Au temps des guerres coloniales en Indochine ou en Algérie, Boris Vian appelait les jeunes Français à ne pas rejoindre l’armée. En 1981, Renaud, lui, critiquait la politique de défense nucléaire de François Mitterrand et invitait le président de la République à venir fumer de l’« herbe » avec lui.

Bien que le secrétaire général du Parti communiste français, Georges Marchais, ait dit de lui qu’il était le « chanteur de la désespérance » défendant la violence gratuite et le bandit Jacques Mesrine abattu par la police, ou encore se moquant de la lutte des classes, devenue dans le langage du chanteur la « lutte des crasses », Renaud fut finalement invité à participer à la traditionnelle fête du quotidien du PC, L’Humanité. Il y prit la vedette aux dirigeants politiques devant plusieurs centaines de milliers de personnes.

Réconcilié avec les communistes, Renaud, le pacifiste et l’antiraciste, participe l’été dernier au festival mondial de la Jeunesse « pour la solidarité anti-impérialiste, pour la paix et l’amitié », organisé à Moscou.

L’incident qui aurait terni le bel ensemble de la manifestation est évité de peu. Habitué à chanter pour les jeunes, Renaud ne voit devant lui qu’un parterre de quinquagénaires triés sur le volet et n’obtient pas d’interprète pour expliquer le sens de ses chansons. Dans l’une d’entre elles, Renaud dit qu’il ne comprend pas la différence entre le communisme et le trotskysme : on imagine l’effet dans la capitale soviétique.

Aujourd’hui, le chanteur français explique que cela le gêne de créer des polémiques et que sa chanson sur Margaret Thatcher, qui se veut « un hymne aux femmes », n’est pas « raciste ou xénophobe ». « Mon but, ajoute-t-il, n’est pas d’attiser les haines franco-anglaises mais de faire rire les Français d’une femme politique dont le comportement est plus souvent masculin que celui des hommes. »

 

Source : Le Devoir