Renaud chez lui

Nouveau Stéphanie

N° 44, août 1978

Un chopper garé contre le mur grisâtre d’une vieille cour semble attendre son propriétaire. Une porte entrouverte laisse apercevoir un escalier étroit. Il suffit de la pousser doucement pour pénétrer dans un couloir sombre. Nous sommes au quatrième et dernier étage d’un vieil immeuble en plein cœur de Montmartre. Un air de musette que l’on entend du palier nous guide vers une porte de bois verni. Un petit coup de sonnette, elle grince et laisse apparaître un garçon blond, échevelé, en jeans, tee-shirt et bottes mexicaines.

Non, vous ne rêvez pas, c’est Renaud. Personne n’avait encore réussie à s’infiltrer dans l’intimité du chanteur. Mais pour les lectrices de Stéphanie, il accepte d’ouvrir toutes grandes les portes de son appartement.

– Salut l’équipe de Steph ! (l’équipe de Steph, c’est Patrick, le photographe et moi). J’écoutais un peu de musique en vous attendant.

Dans l’entrée, un énorme juke-box prend toute la place.

– « C’est un vrai, dit-il. C’est un pote qui me l’a vendu. Comme au bistrot, il faut mettre du fric dedans pour le faire marcher. »

Au programme Souchon-Voulzy mais surtout ceux qu’il considère comme les grands copains de le chanson française, Edith Piaf et Mouloudji. Dans ce décor féérique, tout est arrangé avec goût et amour.

À droite de l’entrée, une bibliothèque sublime dans laquelle l’interprète de « Laisse béton » aime se relaxer. Elle contient plus de mille livres. L’idole s’installe chaque soir une heure ou deux dans le gros fauteuil de cuir confortable et dévore un polar de Chase ou médite sur un poème de Boris Vian.

Chacune des cinq pièces croule sous les bibelot.

Renaud est dingue des antiquités. Il court toute la journée les brocanteurs, rentre épuisé mais ravi ; les bras chargés de vieilles poupées ou de lampes style rococo. Il les dispose sur une étagère, une table ou même par terre, mais comme depuis bien longtemps il n’y a plus de place, il les empile dans les caisses.

– « C’est plus fort que moi, je ne peux pas m’empêcher d’acheter des bibelots. C’est ma drogue. J’échangerais jusqu’à ma dernière chemise contre un vieux miroir. Tout mon fric passe là-dedans ».

Le monde de Renaud, c’est cet univers chaud et coloré où tout est beauté et tendresse. Pas de tape-à-l’œil, juste un grain de folie.

il ouvre pour vous les portes de son appartement

Au premier étage, une chambre digne de la Pompadour.

En y pénétrant, on se sent transporté dans un autre temps, seule une platine posée sur une vieille coiffeuse un peu bancale et une guitare électrique nous rappellent que nous sommes en 1978.

Adieu Minette

Mais ce n’est pas dans cette chambre que la vedette se sent le mieux. La pièce voisine est un véritable petit paradis. Renaud l’appelle « son île déserte ». Il faut dire qu’il a la passion des îles et passe ses vacances sur une île grecque. C’est là, dans son hamac, entouré de plantes exotiques, qu’il a composé : « Adieu Minette ».

La pièce reflète toute la sensibilité du chanteur. Un instant de cafard ou d’anxiété et le gentil loubard vient se réfugier dans son havre de paix.

Il caresse ses vieux objets et les idées noires d’envolent comme par magie. Il n’a plus qu’à ouvrier sa fenêtre et découvrir le haut du Sacré-Cœur pour se persuader qu’il est le garçon le plus heureux de la terre.

– « Allez, assez rêvé, descendez je vais vous faire un café », dit-il en nous tapant sur l’épaule.

Il s’approche d’une drôle de machine qui se trouve dans l’entrée en face du juke-box.

– « C’est un percolateur, explique-t-il, je l’ai marchandé à un brocanteur aux Puces. C’est un objet très rare il a au moins cinquante ans. J’ai la chance qu’il marche encore mais il est très long à se mettre en route, on ferait mieux d’aller au bistrot du coin…

…et un bistrot rétro… pour composer !

Le bistrot du coin, c’est l’endroit sacré pour Renaud. Devant un café (sur le zinc bien sûr), il nous explique que c’est son deuxième toit.

Il y retrouve ses potes tous les soirs et tous se déboulent au flipper et au baby-foot. Il nous présente Philibert, son copain de toujours, avec qui il a fait les 400 coups.

– « On est dans la même galère, dit-il en riant. Il veut se lancer dans le showbiz. Depuis qu’on a 10 ans, on écrit des chansons. C’est avec lui que j’ai commencé à chanter dans les cours. Si Stéphanie pouvait le pousser un peu… »

Là-dessus, il éclate de rire et ses yeux bleus sont plus pétillants que jamais.

Il est temps maintenant de se retirer sur la pointe des pieds, laissant le chanteur à ses copains et à ses objets, sachant qu’avec tout ça, il n’a pas fini de nous écrire de belles, de très belles chansons.


Katherine Azoulay
Photos Patrick Thomas

  

Source : Nouveau Stéphanie