Publié le 01-03-2003 à 06h00
Luc Lorfèvre
Le chanteur a scellé dans l’émotion et la bonne humeur ses retrouvailles avec le public belge
BRUXELLES «Je ne suis peut-être pas le meilleur chanteur français du monde mais tous les autres artistes me jalousent car c’est moi qui ait le meilleur public.»
Le constat vient de l’ami Renaud et il n’a pas tort. Jeudi, pour la première de ses cinq dates belges, c’est dans un véritable boucan d’enfer que la Chetron sauvage a fait son apparition sur la scène de Forest National. Plusieurs fois en cours de spectacle, il a dû attendre que la clameur baisse pour entamer l’intro d’un nouveau morceau. Plusieurs fois, il s’est fendu d’un «Merci beaucoup infiniment», formule bateau certes mais qui, dans la bouche de Renaud, sonne tellement juste. Plusieurs fois encore (sur Manu ou En cloque), il a été contraint au chômage technique, le chœur composé de 9.000 spectateurs se chargeant du couplet/refrain à sa place.
Avec Indochine, également grand chouchou des Belges, Renaud a aussi cette capacité rare de renouveler son assistance. A un concert de Renaud, on croise des quadras qui ont ressorti le bandana rouge et les santiags à bouts pointus mais aussi des ados même pas nés lorsqu’ils chantait Laisse béton chez Danielle Gilbert.
Face à une tel public, Renaud peut tout se permettre. De parler longtemps entre les morceaux. D’en n’enchaîner aucun. De chanter faux aussi comme sur cette version catastrophique de Germaine. De balancer des vannes à ses musiciens… Bref, autant d’attitudes qui le rendent touchant, fragile, jamais infaillible mais toujours humain.
Pour ces grandes retrouvailles, Renaud a souhaité emmener la foule sur une place de village de province, un soir de 14 juillet. Le décor fait très Amélie poulain. On retrouve le marronnier, la mairie-école, le petit hôtel 4 étoiles («dont trois filantes»), des lampions, des bancs publics et bien sûr le bar Chez Renard. Quand les lumières de la salle s’éteignent, on aperçoit Renaud accoudé au comptoir. Il vide son demi. Redresse machinalement le col de blouson de cuir. Balaye une mèche rebelle. Quitte le bistrot et attaque dans le délire qu’on imagine Docteur Renaud, Mister Renard.
Durant deux heures trente, Renaud va jouer à Renaud. Le pote, le grand frère, le titi, l’amoureux largué, le papa, le lanceur de piques… Entre deux morceaux, il fait un petit coucou à sa fille qui se trouve dans la salle. Sa mère, celle «qu’il était avec» mais qui l’a larguée est aussi présente. Tout comme Axelle Red au joli ventre arrondi venue pour interpréter Manhattan-Kaboul ainsi qu’une version piano/voix de Je me fâche.
Côté répertoire, Renaud ne fait pas le renard. Il offre la majeure partie des titres d’un Boucan d’enfer écoulé à plus de 2 millions d’exemplaires en France et 80.000 exemplaires en Belgique. Mais il plonge volontiers dans ses «vieilles chansons»: Laisse béton, Marche à l’ombre, Dès que le vent soufflera, Miss Magie, En cloque et sans doute la plus belle de toutes, Manu.
Après 5 de vie de pochtron, passées à La Closerie des Lilas, à Montparnasse (cf. la pochette du CD), Renaud a décidé de reprendre la route. Il tient bien la barre. Il n’essaye pas de changer son style (à quoi bon) et n’entend pas révolutionner les structures de la mises en scène. Il est venu avec ses chansons, ses rictus, sa tendresse et son humour. Tel qu’on l’aime. Tel qu’on souhaite encore le revoir…
Renaud, ce soir au Wex à Marche (complet), le 20/04 à Forest National et le 6/05 au Wex.
© La Dernière Heure 2003
«Maintenant, j’ai envie d’avoir 100 ans»
Après 5 ans passés au fond d’un bistrot, Renaud s’offre une belle revanche
BRUXELLES Quelques minutes avant de donner son deuxième concert à Forest, ce vendredi, Renaud nous a accordé un entretien exclusif qui sera diffusé dans l’émission Même endroit, même heure sur MCM Belgique du 15 au 21 mars. Vous pourrez y voir aussi des images du show, notamment son duo Manhattan/Kaboul avec Axelle Red.
Ce spectacle est le 40e de votre tournée. Comment vous sentez-vous?
«C’est magique. C’est formidable. C’est inexplicable. C’est surtout loin d’être fini puisque je tourne jusqu’à la fin décembre. Je ne sais pas si c’est l’apothéose de ma carrière mais ça n’a jamais été aussi délirant.»
A quoi pensez-vous les secondes qui précèdent l’entrée en scène?
«J’ai toujours un peu le trac. Pas du public car je sais qu’il m’a toujours bien accueilli mais de ce côté irrationnel. J’arrive seul sur scène et devant moi, il y a 8 ou 9.000 personnes qui m’attendent. C’est une situation qui n’est pas habituelle même si ça m’arrive depuis longtemps. Je suis toujours dérouté par l’enthousiasme de mon public.»
Vous dites que vous n’êtes pas le meilleur chanteur français du monde mais que vous possédez le meilleur public.
«Je crois sincèrement que les gens ne viennent pas me voir pour mes performances vocales. Par contre, il y a une relation entre moi et le public qui n’existe pas ailleurs. J’ai été voir pas mal de concerts de mes confrères. Il y avait des applaudissements polis, voire nourris. Ici, c’est l’hystérie.»
Vos trois victoires de la Musique?
«En 2000, on m’a décerné une Victoire d’honneur comme si c’était à titre posthume. Comme si la tournée acoustique que je venais d’achever était mon chant du cygne. J’avais l’impression qu’ils me donnaient une récompense car ils pensaient que c’était la dernière occasion. Il faut dire que je buvais comme un goret, je fumais trop. J’avais pris dix kilos. J’étais mal dans ma peau et mal dans mon cœur. Ici, je viens d’en décrocher trois. Ce n’est pas une revanche. Ou alors peut-être une revanche sur moi-même. J’ai prouvé qu’un artiste n’était jamais mort. Que le phénix pouvait renaître de ses cendres. Honnêtement, je ne suis pas mécontent d’avoir obtenu ces récompenses. Enfin, c’est à mon tour après Cabrel, Johnny et les autres…»
Votre CD Boucan d’enfer est arrivé après cinq ans passés au fond d’un bistrot. Cinq ans perdus?
«Le côté positif, c’est que cette descente aux enfers m’a permis d’écrire un album introspectif où je parle de choses dans lesquelles beaucoup de gens peuvent s’identifier. Le côté négatif, c’est que je suis allé très loin dans l’alcool. J’aurais pu profiter de ces années pour travailler pour moi ou pour les autres. Mais ainsi va la vie. Je me sens beaucoup mieux aujourd’hui. Je suis plus combatif.»
Vous allez fêter vos 51 ans en mai prochain. Surpris d’être encore là?
«Oui. A vingt ans déjà, je ne pensais pas que j’allais être vieux un jour. Alors, après tout ce que j’ai vécu ces dernières années, il y a de quoi être surpris d’être encore là. Maintenant, j’ai envie d’avoir cent ans.»