Paris se lève pour ovationner Renaud, qui chante moins mal qu’on ne l’imaginait. Pour ceux qui connaissent son répertoire par cœur, il suffit d’attraper par les refrains pour suivre la chanson. Pour les autres, on veut bien croire qu’ils vivent un véritable cauchemar. Mais très vite, on comprend qu’il n’y a ce soir que des gens bienveillants autour de lui, clairement heureux de voir leur pote d’enfance toujours debout, toujours vivant. « Le petit chat est mort » ou « la pêche à la ligne » ne sont pas les titres les plus évidents du monsieur Séchan, mais nous renvoient à la qualité de l’écriture du chanteur. Car on l’oublie parfois, mais la plume de Renaud est l’une des plus fines, des plus brillantes de la chanson française, capable de transformer une partie de pêche en chanson de rupture bouleversante. « Vous allez chanter la prochaine avec moi ? » interroge-t-il avant « En Cloque ».
Renaud semble heureux d’être là
Paris répond évidemment bruyamment, se laissant bercer par l’écrin de cordes tissées par Karen Brunon et donnant volontiers de la voix. « La prochaine, dit ensuite le chanteur plus trop énervé, c’est pour mon amoureuse Cerise, qui est là planquée dans la salle avec son briquet qu’elle allume pour que je la voie. Cerise et moi c’est pour la vie et même au-delà ». Le voilà qui reprend « Cœur Perdu » magnifique ballade de l’album « Boucan d’enfer », où il racontait sa détresse sentimentale. « Mon amoureux », « Marchand de Cailloux », « C’est quand qu’on va où ? » sont jetées en pâture à une foule qui se replonge dans son propre passé. Renaud a clairement accompagné la vie des gens, vu la ferveur qui traverse Pleyel.
Malgré ses poches sous les yeux et son air parfois hagard, Renaud semble heureux d’être là, ravi de voir la foule chanter en duo avec lui « Manhattan-Kaboul » où il n’hésite pas à aller chercher les notes les plus hautes. Quitte à se planter. Mais Renaud ne cache rien de l’homme qu’il est devenu, ravagé par ses angoisses, ses démons et récemment sauvé une fois encore par l’amour. N’a-t-il pas d’ailleurs présenté « Ma Gonzesse » comme « une chanson écrite pour la première Dominique mais qui va bien à la dernière, Cerise ». Cerise au passage qui vendait ses créations inspirées de l’univers de Renaud dans le hall d’entrée de la salle Pleyel, non loin du stand de merchandising.
« Manu » permet à Paris de chanter une nouvelle fois à tue-tête, avant que « La Médaille » « peut-être l’une de mes chansons préférées » impose un silence de cathédrale. « Germaine » avec son côté musette amuse la galerie, mais la peu connue « Les Cinq sens » montre que le Renaud amoureux est un sacré bon auteur. Après deux vannes sur Michel Sardou et Patrick Bruel, Renaud reprend « Quand j’étais chanteur » de Michel Delpech, jolie mise en abyme de la part de celui qui n’a pas renoncé à sa carrière malgré une voix qui a foutu le camp. Après « son bleu », prouesse sur l’effondrement du rêve communiste et la perte du travail, vient « Mistral Gagnant », graal absolu, vedette à part entière, qu’il attaque apaisé. Et d’un coup, c’est toute la magie de Renaud qui éclate sous nos yeux embués.
Toute la magie de Renaud
Depuis quatre-vingt-dix minutes, le chanteur a fait en sorte qu’on oublie l’éléphant au milieu de la pièce, en laissant son orchestre donner de nouvelles couleurs à des petites madeleines de Proust intimes. Mais celle-là emporte tout. Appuyé sur le piano, Renaud vit l’instant pleinement, mimant de ses mains les mots, reprenant le micro pour le refrain et conclure d’un ton gutural « le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants. Et les Mistral Gagnants ». Mais pas question de s’arrêter sur ce climax émotionnel. Renaud présente ensuite ses musiciennes une à une et les invite à jouer un extrait de « La petite musique de nuit » de Mozart. C’est sur « Dès que le vent soufflera » qu’il quitte la scène, devant un Pleyel debout.
Au rappel, « Tant qu’il y aura des ombres » morceau méconnu de l’album « Marchand de Cailloux » en formule guitare / voix impose sa loi. Avant qu’un portrait de sa fille Lolita ne s’affiche en fond de scène, prélude à « Morgane de toi » l’autre classique du chanteur. Présente dans la salle aux côtés du père de sa fille Renan Luce et de son nouveau compagnon, Stéphane Beaujean, le directeur général des éditions Dupuis, Lolita assiste à la résurrection de son paternel avec des étoiles dans les yeux. Et c’est sur « La ballade nord-irlandaise » que Renaud conclut son tour de chant, hymne anti-militariste, ode à la liberté qui résume si bien l’œuvre de celui que l’on a tant aimé. Et qui continue de nous faire frissonner.
Reprise de la tournée en 2024.
Setlist du 20 décembre 2023, Paris, Salle Pleyel
1 / Cent ans
2 / Le petit chat est mort
3 / La pêche à la ligne
4 / En cloque
5 / Cœur perdu
6 / Mon amoureux
7 / Marchand de Cailloux
8 / C’est quand qu’on va où ?
9 / Ma gonzesse
10 / Morts les enfants
11 / Manhattan-Kaboul
12 / Manu
13 / La médaille
14 / Germaine
15 / Les cinq sens
16 / La mère à Titi
17 / Quand j’étais chanteur
18 / 500 connards sur la ligne de départ
19 / Son bleu
20 / Mistral Gagnant
21 / Dès que le vent soufflera
22 / Tant qu’il y aura des ombres
23 / Morgane de toi
24 / La ballade nord-irlandaise
Source : Paris Match