RENAUD – Dans Mes Cordes (2023)

Nightfall

FORCES PARALLÈLES
CHRONIQUES ÉLECTRIQUES

 Par MARCO STIVELL le 22 Décembre 2023



(3,5 pour la formule, les musiciennes/musiciens, les chansons aussi.)

On ne va pas revenir sans cesse à la charge concernant RENAUD et ce qu’il est devenu, penser que tout va s’améliorer pour de bon à soixante-dix ans révolus. Si ses albums depuis 2015 sont revenus sur la platine une deuxième fois, c’est un miracle. Rien n’empêche de laisser pousser les mauvaises herbes (comme une certaine ‘chanson’ sur un virus, pas beaucoup moins fine que « Crève Salope » avec laquelle il avait débuté en 1968 cela dit) et d’éprouver au minimum une forme de compassion polie. La même a permis cela dit d’apprécier dans une certaine mesure le disque d’avant, celui de l’an dernier, déjà constitué de reprises en hommage aux artistes qu’il a aimés. Cet automne 2023 est riche en belles parutions RENAUD, avec d’un côté une BD biographique superbe sous forme de pavé de 300 pages que l’on doit au tandem Gaston/Bertrand Dicale et éditée chez Delcourt, figurant à juste titre parmi les meilleures ventes de fin d’année pour ce support.

Et donc, en ce mois de décembre, le disque mi-studio, mi-live appelé Dans Mes Cordes, du même nom que sa plus récente tournée. Reprenant l’idée Une Guitare, un Piano et Renaud qui était un préambule à sa remise en selle voilà vingt-cinq années de cela environ (tout premier concert d’envergure dans mon parcours perso, le 22 juillet 2000 à Saint-Martin-de-Crau), voici un nouveau concept acoustique, mettant en valeur l’emploi d’un quatuor à cordes féminin. Avec d’abord, pour faire du machisme plaisantin, RENAUD, le pianiste Alain Lanty qui est le seul autre lien commun avec cette lointaine époque, Jean-François ‘Tintin’ Berger qui le suit depuis Boucan d’Enfer (2002), mais aussi tout de même, monsieur Michel Coeuriot (SOUCHON, VOULZY, DELPECH) en maître arrangeur-pianiste-accordéoniste et son fils Thomas qui l’accompagne souvent désormais. Cependant, rien que sur la pochette, notre Renard est entouré d’un quatuor plutôt fort agréable à…

Euh, quatuor ? Mais enfin, dites-vous, elles sont huit ! Normal car en musique de chambre, le quatuor à cordes concerne l’instrument. Que ce soit 1er violon-2ème violon-alto-violoncelle ou alors violon-alto-violoncelle-contrebasse, tant que cet effectif-là ne change pas d’abord, ensuite dans tous les cas, il peut y avoir une infinité de personnes jouant de chacun de ceux-ci, ce sera toujours un quatuor. Donc ici, elles sont deux pour le 1er violon, deux pour le 2ème violon et autant pour les alto ainsi que les violoncelles. On remarque d’ailleurs que c’est la très réputée violoniste ponot-anicienne Karen Brunon (LEGRAND, AZNAVOUR, ANN & BIOLAY, Brian WILSON etc) qui a également sa propre carrière solo et dirige l’ensemble ici. Elle y retrouve sa ‘vieille’ comparse Elsa Fourlon, violoncelliste et comme elle membre de CIRCUS (avec STANISLAS et CALOGERO), qui a entre autres publié un disque de chanteuse sous le nom Elsa GILLES (vous trouverez tout cela plus loin en ces pages). Parmi les dames encore, Mathilde Sternat (BRUEL, Nolwenn LEROY etc).

La formule est donc celle d’un gala-concert débuté à Avignon (pas ‘en’, désolé chers Parigots) comme chaque tournée désormais puisque c’est la ‘grande’ ville la plus proche de l’Isle-Sur-la-Sorgue. Gala-concert réservé par un hôte-artiste qui a vieilli, qui chancelle, qui halète à la moindre phrase, mais que l’on veut écouter religieusement, en tiquant un peu (beaucoup), en se laissant gagner par l’émotion (passionnément, à la folie) tant qu’il y en a, et il y en a. Hélas, dans cette envie de reprises perso, malgré un choix de chansons pour le moins de qualité (pas forcément les plus connues, même « Mistral Gagnant » est absent !), il y a cette sensation irrémédiable d’enlisement, dont « Chanson Pour Pierrot » est particulièrement victime, et qui empêche d’apprécier l’effort sur la longueur. RENAUD, aidé ou non par Pro-Tools, fait ce qu’il peut pour des oeuvres qui, indépendamment de cela, ne perdent rien en beauté, en force.

Les arrangements proposés servent celles-ci avec grandeur, certes contrebalancé par le timbre de voix, les phrases constamment séparées par le manque de souffle, dès ce « Adieu Minette » inespéré où RENAUD semble pourtant retrouver un brin de jeunesse. Chose agréable au demeurant, tout comme, d’une autre manière, le jeu des cordes entre notes longues et piquées. Ce titre était le seul à avoir une guitare électrique sur son album d’origine en 1977, et c’est encore le cas ici, grâce à Elsa Fourlon qui joue de l’acoustique le reste du temps quand il le faut. Outre ça et Pierrot, la seule autre chanson d’avant 1980 est « Ma Gonzesse », avec son arpège en picking bien connu, de même que son solo d’accordéon, mais aussi son tapis de cordes mieux marqué, et ses jolies descentes de piano.

Si RENAUD tient mal « Manu » ou la fin de « Dès Que le Vent Soufflera » en live tandis qu’il encourage le public, on apprécie fortement « La Teigne » en studio, la façon dont les gens le soutiennent sur « En Cloque » comme ça a toujours été le cas. On remarque combien les musiciennes et musiciens trouvent les tons justes dans une telle configuration pour les « Morgane de Toi » (débuté par l’accordéon, et Big Ben mentionné au piano à la fin, miam), « Morts les Enfants » (superbe dernier couplet avec piano et guitare seulement)… Sur un air déjà adopté en intro de cette chronique et à laquelle l’artiste donnerait raison, au moins pour ce disque, « Coeur Perdu » est pratiquement la seule chanson conservée depuis son retour il y a vingt ans. La voix grave, rugueuse, y est moins minante que sur d’autres titres. Au moins, on retrouve aussi « Manhattan-Kaboul » nouvelle version jolie comme tout et nouveau single-clip en compagnie de NOÉE, jeune Nantaise dont le timbre est plus proche de Vanessa PARADIS que d’Axelle RED, pour une association sans honte, différente.

RENAUD, quoique ‘pressé’, tente de mettre un peu de brillance sur « La Pêche à la Ligne », à la musique toujours aussi belle. De même, « C’est Quand Qu’on Va Où ? » ne perd rien face au verbiage haletant et pour « Son Bleu », on se laisse gagner encore par quelques intentions du gamin Séchan admirateur de son oncle ch’ti, Oscar. Et ces petits fredonnements de fin ! Les meilleurs albums, Marchand de Cailloux et À la Belle de Mai, sont majoritairement représentés. « La Médaille » se voit considérablement enrichie : marche militaire à l’accordéon et aux cordes pour le maréchal de France, alto léger pour couple d’amoureux, ton dramatique bien renforcé… Voix ou pas, c’était déjà un bijou et ç’en est un nouveau. Débuté avec une amplitude contemplative soignée coutumière, « Marchand de Cailloux », avec ses pas de quadrille plus que de jig, est franchement excellent. Bref, depuis dix ans, il s’agit de son disque le plus ambivalent, mais la démarche reste à saluer.


LINE-UP

– Renaud (chant)
– Michel Coeuriot (direction musicale, arrangements)
– Thomas Coeuriot (contrebasse, basse, dobro, mandoline)
– Jean-François Berger (accordéon, tin whistle)
– Alain Lanty (pianos)
– Karen Brunon (premier violon, régie des cordes)
– Camille Verhoeven (premier violon)
– Laure Simonin (deuxième violon)
– Léa Vandenhelsken (deuxième violon)
– Camille Borsarello (alto)
– Sophie Durteste (alto)
– Mathilde Sternat (violoncelle)
– Elsa Fourlon (violoncelle, guitares)


TRACK LIST

1. Adieu Minette
2. La Pêche à La Ligne
3. Coeur Perdu
4. Marchand De Cailloux
5. C’est Quand Qu’on Va Où ?
6. Ma Gonzesse
7. En Cloque (live)
8. Morts Les Enfants
9. La Médaille
10. Manhattan-Kaboul
11. Manu (live)
12. La Teigne
13. Son Bleu
14. Dans Ton Sac
15. Chanson Pour Pierrot
16. Dès Que Le Vent Soufflera (live)
17. Morgane De Toi (live)
18. La Ballade Nord-Irlandaise (live)

   

Source : Nightfall