Sept ans de purgatoire et voici revenu Docteur Renaud et Mister Renard. Un dédoublement de personnalité qui cache pudiquement une grande douleur, un désarroi où se mêlent l’alcoolisme, la fin d’un amour de vingt-cinq ans et une crise de la cinquantaine qui mine les caractères les mieux trempés. Renaud s’est soigné à la scène et en clinique, entre psy et public… Aujourd’hui, il revient avec un album extrêmement sombre et pessimiste. Comme pour éprouver sa probité ou exposer les lieux de son crime, Renaud nous donne rendez-vous dans le café où il a noyé son chagrin.
Un chanteur sympathique
Depuis Germinal, le film de Claude Berry vous n’aviez plus tourné. De quoi parle celui que vous venez de tourner à Toronto ?
C’est une comédie policière, superbement écrite et réalisée par Brad Mirman. Il s’agit d’une bande de bras cassés parisiens qui va faire un mauvais coup à Chicago sur l’insistance d’un mafieux de Pigalle. La bande tombe, se retrouve avec le F.B.I., la mafia et un gang de rues au cul… Je crois que ce sera une belle comédie policière, avec Harvey Keitel, Depardieu, Hallyday, Saïd Tagmaoui, Borhinger. Moi, je joue le rôle d’un tueur froid et taciturne qui parle de lui à la troisième personne du singulier et qui s’appelle Zéro.
Le 11 mai, vous avez donc fêté vos cinquante ans là-bas ?
Oui, avec l’équipe de tournage, avec Gérard Depardieu, Johnny Hallyday. C’était vraiment gai. Il y avait même ma fille qui était stagiaire sur le film !
La cinquantaine… ça m’a fait flipper à trente, ça m’a fait flipper à quarante. Maintenant, l’objectif sera d’atteindre les cent…ou cent dix. Donc, plus je m’en approche plus je suis content.
Vous pensez que vous avez vos chances ?
Oui, mon père en est à 92 ans. On est de robuste constitution chez les Séchan, même si on en a pas l’air comme ça.
Après huit ans d’absence, une difficile séparation avec votre compagne, l’alcoolisme… cet album prend vraiment la forme d’un exutoire…
J’ai toujours chanté ce que j’avais sur le cœur, dans ma tête, dans les tripes. Là, il se trouve que les chansons qui sont nées de ma plume avaient envie de parler de moi, de mes chagrins, de mes désillusions, de mes « désabusations » comment aurait dit Nino Ferrer. Donc, c’est un album très personnel, très introspectif. Un album peut-être un peu nombriliste où je me penche plus sur mes problèmes que sur ceux de l’humanité et de mes contemporains. Un artiste est là pour se livrer, pour donner son cœur, donner son âme et c’est cela qui est venu quand j’ai commencé à écrire. Je pense que cela peut toucher les gens parce que les histoires d’amour sont universelles, les chagrins d’amour aussi d’ailleurs. Et qui n’en a jamais vécu ? Qui n’en vivra jamais, tôt ou tard ?
En l’occurrence il s’agit vraiment d’un gros chagrin…
Oui, c’est un gros chagrin, vingt-cinq ans de vie commune… Je pensais mon couple indestructible comme celui de mes vieux parents qui sont ensemble depuis soixante ans et puis, la vie a fait que nos chemins se sont séparés.
Votre album Boucan d’enfer s’est vendu à 450.000 exemplaires en une semaine. Est-ce qu’un tel phénomène de vente n’est pas significatif d’une profonde sympathie du public envers vous et votre malheur ?
Je ne sais pas. Je sais que depuis une quinzaine d’années mon public de base qui écoute et achète mes disques, c’est environ 600-700.000 personnes. Je ne sais pas si ce sont les plus fidèles, les plus inconditionnels qui se sont manifestés en achetant ce disque avec une telle rapidité. Peut-être qu’il y avait une impatience de me voir revenir, peut-être que je me suis fait de nouveaux fidèles. Bien sûr, cela me rassure et me fait chaud au cœur. On a toujours, après huit ans d’absence, la crainte d’avoir été oublié. Et non seulement je n’ai pas été oublié mais ils m’attendaient avec impatience, apparemment…
Mon nain de jardin, c’est après avoir vu le film de Jeunet Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain que vous est venu ce texte ?
On me pose souvent la question mais en fait pas du tout. La chanson a quatre ans. Le film n’existait pas et, à ma décharge, je ne l’ai toujours pas vu. En fait, dans cette chanson, je m’insurge contre tous les rieurs qui se sont beaucoup amusés de ce Comité de Libération des Nains de Jardins qui piquait les nains dans les maisons de banlieues. Moi, j’avais un grand-père qui s’appelait Oscar, qui était ouvrier et qui a fini sa vie dans une maison minuscule avec un petit bout de jardin et un nain auquel il tenait beaucoup. Si on lui avait volé, cela lui aurait fait beaucoup de peine. Je me suis mis à la place d’un mec qui n’a pas beaucoup de trésors dans sa vie et qui se fait soudainement dévalisé d’un petit truc auquel il tient beaucoup. Moralité : les voleurs volent toujours à plus pauvre qu’eux et c’est malheureux.
Et l’Entarté, ce pamphlet à la gloire de Noël Godin dit « le Gloupier » et contre le philosophe Bernard-Henry Levy, c’est un vieux règlement de compte ? En s’attaquant à une proie aussi facile que BHL vous n’avez pas l’impression de tirer sur l’ambulance ?
Je ne tire pas sur une ambulance. On m’a déjà posé cette question, je ne trouve pas facile de s’attaquer à quelqu’un d’aussi éminent, d’aussi important dans les médias, dans la littérature, dans la philosophie… Il est tellement envahissant que de temps en temps, on peut lui tailler un petit costard pour le remettre à sa place avec humour et ironie. Ce n’est pas si facile. Il a la parole, il en use et en abuse. Son avocat avant la sortie de l’album a demandé à se procurer le texte. D’après ce dernier, BHL aurait dit : « Je suis beau joueur, j’ai de l’humour, je laisse faire ». Je suis le premier surpris d’apprendre qu’il a de l’humour. Mais j’en suis ravi, cela le dédouane un petit peu à mes yeux.
Que pensez-vous de toute cette intelligentsia qui se mobilise pour de grandes causes, contre la guerre, la famine ? Vous aussi, à une époque, vous avez joué les mobilisateurs avec SOS Ethiopie….
Oui, c’est vrai. Mais j’ai eu ma dose de donneur de leçon. Je suis monté au créneau pour dénoncer certaines misères et l’oppression. Mais je ne me veux plus en porte-parole de quiconque ou de quoi que ce soit. Je préfère vivre caché dans mon bistrot, loin du bruit et de la fureur du monde. Même si j’essaye de faire évoluer les mentalités à travers mes chansonnettes, je n’ai plus envie de monter sur les barricades en première ligne et pousser les gens à voter ceci ou cela. C’est une époque de ma jeunesse qui est révolue.
A propos de jeunesse, est-ce que ce sont vos amis de jeunesse que vous regrettez dans Mon bistrot préféré, Fallet, Coluche, etc. ?
Pour ceux que j’ai eu la chance insolente de connaître, leur présence affective me manque effectivement. Il me manque d’avoir un coup de fil de Gainsbourg à deux heures du matin que me dit, presque en larmes : «Viens me voir. Je ne suis pas bien je flippe, je suis malheureux, viens me parler». Comme me manque Frédéric Dard que je rencontrais quelques fois et ce magnifique petit bonhomme qu’était Robert Doisneau que j’aimais infiniment. Comme me manquent les tablées de potes avec Coluche dans sa maison.
Est-ce que le Ricard qu’a absorbé Mister Renard pendant des années est rédhibitoire ?
J’aurais toujours une fêlure, une blessure dans ma vie. Une mélancolie, une nostalgie qui me tenaille et qui fait que je ne vis pas toujours très bien. Mais le Ricard, j’en suis sorti, j’espère… En tout cas, si j’en suis encore aujourd’hui à deux, trois par jour, ce qui est raisonnable, je suis loin du litre quotidien que je m’envoyais quotidiennement, ici au bistrot, pendant cinq ans. Je m’en veux, bien sûr, mais j’ai eu une forte tendance à l’autodestruction, bien que non suicidaire, ce qui est paradoxal. Je me détruisais à petit feu. J’aurais préféré vivre mieux, mais bon ! il y a tellement de gens qui vivent plus mal et qui ont de vrais problèmes, de vrais soucis, de vrais chagrins, de vraies maladies. Moi, c’est des soucis de… petit-bourgeois.
A cette époque noire, avez-vous ressenti une sympathie, une certaine compassion de votre public, de la profession, de vos proches ?
Je laissais circuler les rumeurs dans le métier sur mon état mental, sur mon état physique. Je savais que certains annonçaient que je ne passerais pas l’hiver. Mes copains médecins me pronostiquaient la cirrhose dans les mois à venir. Je ne suis pas mécontent d’être sorti de ce trou, quand même. J’ai des anecdotes : en province, je rodais la chanson Boucan d’enfer dans laquelle j’expliquais un chagrin d’amour assez terrible. Quand après, je chantais Manu, il y avait des gamins de quinze ans qui me chantaient : « Déconne pas Renaud ! Vas pas te tailler les veines ! »
Avec le titre Mal barrés, on ne peut s’empêcher de penser aux Bancs publics de Brassens…
On m’a déjà fait remarquer que c’était le pendant, très noir, des Bancs publics de Brassens. Même si je crois encore à l’amour parce que je ne crois qu’à cela… je crois un peu moins au couple. Quand je vois des gamins de quinze ans sur les bancs dans les squares ou sur des banquettes de bistrots, j’ai du mal à les imaginer heureux et amoureux cinquante ans après. C’est une chanson un peu noire, un peu sombre. J’y ai cru. Mais vous voyez, mon couple que je croyais indestructible, il n’a pas résisté à la vie.
Qu’est-ce que cela vous a fait de voter pour Jacques Chirac le 5 mai dernier lors du deuxième tour des élections présidentielles ?
Cela m’a fait gerber. J’aime bien voter « pour », je n’aime pas voter « contre » et c’est pour cela que j’en veux beaucoup à Le Pen de m’avoir obligé à voter à droite. J’étais complètement partagé entre l’idée de voter et celle de m’abstenir. Mais à l’époque, j’étais bousculé par de pseudo sondages des renseignements généraux qui à l’époque de l’entre deux tours, donnaient Le Pen à près de 42 % au second tour. Chirac, ce n’est vraiment pas ma tasse de thé, tout le monde le sait, mais c’est toujours mieux que la peste brune.
Est-ce que ce n’est pas le moment de ressortir des chansons comme Camarade bourgeois ou Hexagone, voire d’en écrire de nouvelles ?
D’en écrire de nouvelles sûrement, ou de chanter Hexagone que je chante depuis vingt-cinq ans… Mais quand je chante ces chansons et que je vois le score des présidentielles, je me demande si tout cela n’a pas été vain, si mes chansons servent à quelque chose.
Alors on laisse Béton ?
Ah non, non ! Je laisse pas béton, je vais retourner au charbon.
Livre : Thierry Séchan Bouquin d’enfer Editions du Rocher 2002
Par : Frédéric Garat
Sources : RFI Musique et Le HLM des fans de Renaud