Plus de trois ans après son dernier récital parisien, Renaud se devait de se distinguer. La promotion de son mois de concerts salle de la Mutualité n’a échappé à personne. Placarder le portrait de Che Guevara sur les colonnes Morris de la capitale, en pleine campagne électorale, avait peut-être des vertus sainement provocatrices. L’affubler d’un tee-shirt à l’effigie du chanteur, détourner l’icône révolutionnaire dans une logique commerciale a aussi pu conforter ceux qui persistent à voir dans cet anarchisme bon enfant une pose, plus qu’une conviction. Les retrouvailles avec son public furent néanmoins chaleureuses.
Après avoir fréquenté les trop grandes salles à l’époque du succès platine des albums Morgane de toi ou Mistral gagnant, Renaud préfère aujourd’hui des cadres plus intimes. Après le Casino de Paris en 1991, les mille huit cents places de la Mutualité conviennent mieux à ses musiques que les Zénith d’antan. Peut-être parce que s’éloignant des allures un peu pataudes d’une « variété rock » qui caractérisait ses productions dans les années 80, l’éternel poulbot privilégie désormais les ambiances plus acoustiques, affinées sur disque comme sur scène par les arrangements colorés de Jean-Louis Roques. Pas moins de dix-huit musiciens encadrent cette fois la vedette. L’habituelle section rythmique, des guitares, un orgue mais aussi un accordéon, une section de cuivres et un orchestre très chic de huit cordes exclusivement féminin.
Tout ce petit monde se marche parfois sur les pieds, mais les chansons profitent, dans l’ensemble, de la diversité de cette nouvelle palette. Musette, rythme mariachi, blues, folk irlandais ou brésilien. Renaud pose sa voix blanche avec la maladresse touchante que ses fans attendent de lui. Ce mélange de vraie timidité et de gaucherie calculée s’apprécie plus volontiers en petit comité.
MANIÉRISME « POPULO »
Plus qu’une salle, la « Mutu » est un symbole. Commencée le 1 mai, cette série de concerts témoigne d’une nostalgie militante. En cette période politiquement agitée, on attend d’ailleurs, de l’auteur d’Hexagone, quelques remarques au vitriol. En vain. Il évoque un moment le 7 mai, fait partager son cafard. « Cabrel était encore devant moi au Top Album. » Promet ironiquement un troisième tour social. Gueule contre « les preneurs de tête ». Plaisante sur le voisinage des intégristes de Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Aux indignations succède la mélancolie d’un garçon entre deux âges. On se méfie. Renaud a parfois eu tendance à exploiter ses émotions comme un fonds de commerce. Après la rage du faux loubard de banlieue et la tendresse du papa gâteau, la nostalgie post-révolutionnaire ? On peut s’irriter encore de l’éternel maniérisme de son parler « populo », de sa façon de tirer sur la presse tout en s’inspirant trop souvent de mauvais « dossiers de société ». Le personnage et sa panoplie immuable jean troué, foulard rouge, tee-shirt, blouson de cuir et tatouages prêtent le flanc à bien des agacements. Il faut pourtant reconnaître qu’en vingt ans, il a signé quelques chansons inoubliables.
La verve drolatique de HLM ou de Marche à l’ombre, les trouvailles poétiques, la justesse et la légèreté profondément émouvantes de Mistral gagnant, Morgane de toi, En cloque, La Pêche à la ligne ou Miss Maggie résistent au temps et à nos ras-le-bol. La force de ces concerts et de deux compilations (The Meilleur of Renaud), à paraître prochainement, est de nous le rappeler.