Graffiti
N° 52, mars 1989
Sous les pavés, la rage d’un vaincu…
Derrière les barricades, un gavroche cuve son chagrin, bouffi de remords… Lui, c’est Renaud, le chanteur énervant…
Déçu, pire désabusé, l’âme entre deux interrogations, il se demande s’il a eu raison d’avoir tort.
Méventes, baisse de fréquentation à ses concerts, le déclin de l’empire Renaud aurait-il sonné son heure de disgrâce ?
La prose journaleuse et revancharde ne s’est pas gênée pour l’écrire tout haut.
Mais qu’en est-il exactement ? Un rendez-vous manqué ? Des coups de canifs meurtriers au coin de l’inspiration et si mistral il y a eu, cette fois-ci, il n’a malheureusement pas été gagnant. Sa chetron sauvage a pourtant fini par se domestiquer… «Putain de camion, putain de média, putain de moi, putain de ceci cela»… Renaud face à son destin a essuyé les revers d’une autre médaille moins «glorieuse» et plus «austère». Tombé pour la France, l’hexagonal ne s’est pourtant pas dit «Tiens, je vais tout arrêter». D’abord, il n’est pas mec à laisser la place aux autres et puis, auprès de son arbre haut perché, s’il y cherchait la sève pour se refaire une santé !
Les débuts de soirée passent, les Renaud restent et au Canada où notre reporter, Claude Gassian, l’a débusqué, au quartier des Halles où il habite, en passant par son HLM, voici Renaud, un an après, la sortie de son album et entretemps, il s’en est passé des choses…
SES CABANES AU CANADA…
J’y suis resté plus d’un mois et j’y ai donné 20 récitals. A Montréal, on a dû rajouter des dates, tant le public est venu nombreux. Bien entendu, je ne me suis pas produit sous des chapiteaux, mais dans des salles de music-hall, du genre l’Olympia.
Ça m’a rappelé mes débuts… et ce contact plus direct avec le public.
Toute mon équipe m’a suivi, seulement, mon décor, lui est resté à Paris et si je n’avais pas amené mon arbre avec moi, je n’en avals pas oublié pour autant la sève… Ils sont formidables ces canadiens ; pour eux, le reste du monde, c’est vraiment loin de leurs préoccupations quotidiennes… Leur sujet principal n’est autre que la francophonie… Remarque, là-bas, ils n’ont pas de problèmes sociaux majeurs, de chômage, ou de racisme. Ils sont très chaleureux, très bon enfant, et si tu me demandes de comparer le public français au public canadien, c’est comme si tu voulais que je choisisse entre mon frangin et mon meilleur ami… Mais les standing-ovation, tous les soirs, ça m’a fait plutôt plaisir… J’ai remarqué que les gens avaient changé, et il y avait cette fois-ci, des couches très populaires, notamment des p’tits rockers… au premier rang et j’ai même cru apercevoir des petits foulards rouges et des perfectos…
De dire que là-bas, je suis une star, ça ne signifie pas grand-chose… C’était au moins ma dixième tournée et peut-être qu’il va se passer pour mol, ce qui arrive à Cabrel aujourd’hui. Alors que le public ne jurait que par lui, il y a seulement deux ans, désormais, son Impact est un peu retombé… Finalement, le succès doit lasser les gens… Il y en a un autre qui en revanche fait sold-out partout et a vendu 200.000 albums, c’est Herbert Léonard. Cela dit, Je ne pense pas qu’on touche le même public.
Le casier médiatique vierge, Renaud, dès son arrivée, a donné une conférence de presse… Il a assuré une promo normale et débarrassé de l’animosité frenchie, il a plus qu’apprécié d’être enfin considéré comme un chanteur presque comme les autres.
Météo complice, il n’a pas eu à souffrir non plus du grand froid ; un peu nostalgique du pays et de sa famille, il a fait venir sa Lolita de fille et sa Dominique de compagne, histoire de ne pas conclure seul son périple…
Là-bas, le public a osé venir vers lui et tandis qu’à Paris, on le laisse «circuler» en paix, de peur de l’importuner, au Canada, les gens ont pris au contraire, la liberté de lui taper sur l’épaule… et de le saluer à la québéquoise.
CARRIERE EXTRA-MUROS, LOIN DES YEUX DEL’HEXAGONE
Pour pouvoir rentabiliser les concerts et amortir les frais engagés à l’étranger, il faut beaucoup de public. Et puis, si je voulais le faire à fond. il faudrait y passer toute l’année, de Barcelone à Milan, en passant par Zagreb ou Berlin. Il existe effectivement des communautés francophones, étudiantes pour la plupart, amoureuses de la langue française. Je sais que certains de mes textes sont étudiés dans ces universités, mais bon, je n’al malheureusement pas sous la main plusieurs vies…
Polémique : «Je ne répondrais pas aux questions des journalistes»
RENAUD : Disons que je me suis rendu compte que les journalistes servaient à faire parvenir les informations… Les gens qui m’aiment ont su que mon album existait, quant aux autres, ceux que j’appelle les touristes dans ma clientèle, il aurait fallu qu’ils me volent en télé pour le savoir.
Mea culpa… Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis…
RENAUD : Je me doutais que ce manque de promo aurait une incidence sur la vente de mes disques et sur la fréquentation de mes concerts… J’en avals conscience, mais j’ai tenté le coup quand même. Et puis, lorsqu’on s’est aperçu que j’allais chanter dans un Zénith à moitié vide, et ce. pendant dix jours, des gens en qui j’avais confiance et qui décident avec mol des grandes options de ma carrière m’ont dit «ton attitude est suicidaire». Effectivement si j’avais pu prévoir, j’aurais choisi de me produire au Casino de Paris, et en y jouant éventuellement les prolongations… Seulement, mon décor nécessitait la structure d’une grande salle et finalement, je ne regrette rien.
Pourquoi ce refus de parler…
RENAUD : Parce que qui suis-je pour aller oser prétendre donner mon point de vue sur le monde. Auparavant, je l’avais toujours fait instinctivement, mais cette fois-là, j’ai eu vraiment envie de me taire. Car, plus on parle, et plus on est critiqué, et dès qu’on émet une idée, on est suspecté voire récupéré… Seulement, si j’ai retourné ma veste, c’est que j’ai compris que mon public et que les jeunes qui m’aiment, avalent peut-être besoin de me voir. Au début, dans l’ensemble, ils m’ont soutenu «T’as raison Renaud, n’y va pas», m’ont-ils dit ; «à la télé, ce sont tous des pourris», et puis il y a eu un retournement de situation, le courrier, c’était soudain du style, «t’es peinard, tu gagnes de l’argent, t’es chié quand même, car nous, on est laborieux et tu n’apparais plus nulle pan», tout à coup, Ils ont eu l’impression que je les avais lâchés en route et à leurs yeux, je n’étais plus qu’un disque, pire, qu’un simple produit.
Il y a eu d’autres erreurs de commises, notamment celle au niveau de l’affichage. Les chanteurs comme Sardou ont entamé des campagnes un an avant la date de leur concert, moi, je ne me suis accordé que trois mois : on ne peut pas toujours faire des miracles…
Taxé d’indécence, le public a sans doute mal perçu tes états d’âme ; toi qui parlais de la faim dans le monde, soudain tu t’es mis à cracher dans la soupe aux médias. Décalage, décalage, n’est-ce pas ?
RENAUD : C’est vrai, à l’époque, j’éprouvais des états d’âme. Je n’avais ni confiance en moi, ni en mon disque. Et puis, je ressentais un gros ras le bol quant aux probables questions des journalistes. C’est fou, on me parle sans cesse de mes origines sociales. Depuis 15 ans, j’explique d’où je viens, je m’évertue à raconter qui je suis et dans quelle famille j’ai évolué, qui sont mes parents… J’ai toujours dit la même chose, sans dévier une virgule de vérité historique, que ce soit sur mon père ou ma mère et malgré tout, on continue à me poser ce genre de question : «Alors Renaud, vous êtes d’origine bourgeoise.» Bien sûr, j’insulte les gens et à la longue, ça commence à devenir chiant… Dussé-je été fils de noble, je n’ai pas à rougir de mes origines…
Les interviews, ces dernières années, ça s’est résumé à l’exploration de mon arbre généalogique… Je reparle de mes grands-pères, l’un était prof à la Sorbonne, l’autre mineur… Les journalistes ont trouvé leur os à ronger me concernant ; moi, ce sont mes origines, on ne demande ni à Cabrel, ni à Lavilliers de s’expliquer là-dessus.
89, v’là le bicentenaire de la révolution. Alors Renaud, chanteur révolutionnaire ?
RENAUD : Du bicentenaire, je n’en ai rien à cirer… En 1789, la bourgeoisie prenait le pouvoir et elle y est toujours. La déclaration des droits de l’homme est encore bafouée. Voilà. Quant à moi j’exerce un beau métier, qui me fait bien gagner ma vie, honnêtement, généreusement. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de continuer à m’insurger contre les injustices. Quand je regarde le journal de 20 heures, et que je visualise toutes ces horreurs, qu’elles soient commises loin de chez moi ou devant ma porte, eh bien, ça m’empêche de dormir, parce que ça m’obsède… Mon but, si je chante, c’est de dire aux gens, mise à part le fait d’essayer de les émouvoir avec ma poésie à moi, que toutes les infractions à la personne humaine me révoltent…
Top 50 : «Qu’on ne me jette pas»
RENAUD : Est-ce qu’un jour, je vais enfin pouvoir vendre du 45 tours ? Top 50 est devenu la bible, la référence… Le marché du 45 tours existe et je ne vois pas pourquoi je n’en ferai pas partie !
Je finis par croire que je ne touche pas cette frange du public ; pourtant à mes concerts, la grosse majorité des gens qui sont dans la salle ont entre 15 et 18 ans… Des mecs comme Goldman réussissent à vendre autant de singles que d’albums. Moi pas, et j’ignore pourquoi. Mes seules belles ventes de 45 tours, ça a été «Laisse béton», c’était il y a dix ans, et «Miss Maggie». De ne pas figurer parmi les 50 meilleures ventes, ça me fait un peu de mal à l’orgueil ; cela dit, j’ai un public d’album et je ne le troquerai pour rien au monde.
«Ne me jette pas» est son nouveau single. Le clip a été conçu à partir du live enregistré au Zénith. Alors, public versatile, ne le jetez pas ! (Message express signé Graffiti, le magazine qui ne se trompe jamais).
Putain de camion : est-il à la hauteur des précédents ?
RENAUD : Il n’y a pas «Mistral gagnant», ni «A mort les enfants», dedans. L’or ne sort pas toujours sous sa plume… pour retranscrire des sentiments ; il faut vivre des choses et puis, surtout ne jamais se répéter, ne pas se plagier. Un père, lorsqu’on lui demande lequel de ses enfants il préfère, répondra, sans hésiter, que c’est le dernier. Eh bien mol. en ce qui concerne mes disques, j’avoue que j’aime mieux l’album précédent.
Arrêt sur image.
RENAUD ; J’aime écrire des chansons. J’ai la chance de pouvoir le faire et que ça marche… je ne vais pas y renoncer car je ne veux surtout pas laisser la place aux autres. A l’époque où j’ai débuté, il y avait des Claude François ou des Stone et Charden, et si j’ai chanté, c’est un pour couper l’herbe sous le pied à ce style de musique. J’ai la prétention de penser que des gens ont peut-être besoin d’écouter d’autres chansons et de fredonner des textes comme «Mistral gagnant» par exemple et au hasard… (Sourires).
On est quelque fois prisonnier de l’amour des gens et les avoir déçus, ça m’a déçu moi-même. Prenons un exemple concret et sincère, parce que contrairement aux autres chanteurs qui préfèrent grossir leurs chiffres, j’ai l’honnêteté, ou plutôt la naïveté, d’oser avouer mes échecs et de reconnaître mes erreurs…
Voilà donc un chiffre qui parle de lui-même. Il y a deux ans, 180.000 personnes avaient assisté à mon concert. Cette fois-ci, ils n’étaient plus que 100.000 ; alors, je me demande où sont passés let 80.000 spectateurs manquants ? Les ai-je déçus parce qu’ils me trouvent moins bon ? Peut-être qu’ils ne m’aiment plus… Peut-être qu’aussi, ils n’ont pas répondu présents à mon invitation payante parce que tout simplement, ils n’étaient pas au courant.
Et l’avenir dans tout ça ?
RENAUD : J’ai écrit l’intégralité des textes qui figureront dans mon prochain album, en ayant pris cette fois-ci, une sérieuse avance ; et puis, la tournée n’est pas finie en ce mois de mars, je vais patrouiller les routes de France et de Suisse et je vais enfin retrouver mon arbre.
Et ton joli bateau ? Hissé haut !
RENAUD : Il en est à l’état d’épave… et j’al perdu un ami…
Claude Gassian… The must of the photographe va faire paraître aux Editions Paul Putti «Son année avec Renaud». Coulisses, back stage, des photos saisies dans le vif d’un sujet qui déteste au demeurant se faire prendre en photo. «Comment des mecs peuvent-ils réussir à camoufler ma laideur ! Les photos sur lesquelles je m’aime, sont celles où je ne me reconnais pas…».
Renaud signe les textes, Claude Gassian, les clichés. Un livre disponible dans toutes les bonnes librairies à compter du 23 mars prochain. |
Source : Graffiti