Renaud en direct dans 24 villes de France

(Journal inconnu)

Mars 1984

LE MIRACLE DE LA VIDÉO-TRANSMISSION

Sous l’œil de la caméra, à Évry, Renaud a chanté « en direct » à huit cents kilomètres de là, dans le Massif Central.

Ce vendredi soir, à Castelnaudary, dans l’Aude, deux cent cinquante personnes au moins n’ont pas regardé la télévision. Sur onze mille habitants, c’est peu. Pour les propriétaires du « Vox », le plus grand des deux cinémas de la ville avec cinq cents places, cela représente
une demi-salle : pas trop mal. A l’affiche : Renaud.

En direct d’Évry, près de Paris. Sur grand écran. En vidéo-transmission. L’expérience menée depuis plusieurs mois par VTI (Vidéo Transmission International) (1) ne semble pas émouvoir beaucoup les foules. A Castelnaudary, le maire, Jean-Pierre Cassabel, ne paraît pas s’y intéresser et n’a encore assisté à aucun des spectacles.

Il n’en est pas de même dans certaines des vingt-trois autres villes du Massif central participant à l’expérience. A Castres, par exemple, la mairie a apporté son soutien actif. « Ce qui me plaît, c’est que ça arrive en direct », dit un jeune, installé avec ses copains sur
plusieurs fauteuils au parterre. Il y a de la place, en bas mais c’est moins confortable, le sol est en béton. C’est moins cher aussi : 18 francs. En haut, c’est le luxe : de bons sièges. Mais ça coûte 22 francs. Pour cette petite fille, qui tient la main de sa jeune tante, c’est « parce que c’est Renaud ». Elle l’aime bien. Mais Michel Berger aussi : elle est allée le voir lorsque,
l’autre semaine, il était â l’affiche. Pour ces jeunes immigrés, qui dansottent vaguement dans la rue déserte, en attendant leur tour à la caisse : « Ce qu’il y a de bien, c’est le grand écran, la salle. Y a de l’ambiance… Bon, bien sûr, Renaud, c’est bien ; mais ce qu’on aimerait, c’est du rock, des groupes, de la danse… » « … et du rrrugby », tranche, avec l’accent, un autochtone bougon.


(1) Le Groupement d’Intérêts Économiques, constitué par la direction des télécommunications, Télédiffusion de France, et la Société Française de Production, à l’initiative de la Datar et des ministères de la Culture et des PTT.


Ponctuelle, la soirée a commencé à 21 heures. Le grand écran, de 3,20 m sur 2,80 m, plaqué sur celui de 9 mètres réservé au cinéma, s’est ouvert, comme une fenêtre voilée de tulle, sur la foute de jeunes qui remplit l’Agora d’Évry. Renaud, à la fois tendre et agressif, entouré de musiciens disparates qui semblent bricoler chacun pour soi leur partition, est accueilli par des clameurs. Il a son public.

A Castelnaudary aussi. Mais – une fois n’est pas coutume – on est plus réservé. Quelques réactions clairsemées. A la fin des chansons, des applaudissements. C’est drôle quand même d’applaudir la télé. Dans la mesure où c’est de la télé.

En fait, la vidéo transmission, c’est un peu des deux : télévision, parce que les images, filmées par de très classiques caméras, viennent d’ailleurs, par faisceaux hertziens ; cinéma, parce que la réception est collective, De la télé, la vidéo-transmission a la diversité et, les programmes de VTI en tout cas, une certaine ambition culturelle. Depuis qu’a commencé l’expérience, Castelnaudary a reçu, par exemple, outre les spectacles de Michel Berger et de Renaud, celui de l’Alcazar à Paris ; l’exposition Raphaël, actuellement au Grand Palais, présentée par Patrick Poivre d’Arvor et commentée par des spécialistes de l’histoire de l’art ; de la boxe, avec le combat Acariès contre Sibson, en direct de Bercy ; du football : Paris Saint-Germain-Brest. Juventus de Turin-Paris Saint-Germain, Nantes-Vienne ; Studio 1, l’émission de Michel Drucker en direct d’Europe 1 ; sans compter les transmissions dites « institutionnelles », destinées à un public bien précis : colloques de notaires, de jeunes agriculteurs. Des transmissions commerciales ont eu lieu aussi à destination d’autres salles. Peugeot a récemment utilisé la vidéo-transmission pour présenter ses nouveaux modèles à son réseau de vente. Pour certaines transmissions, l’entrée est gratuite : la matinée d’Europe 1 ; l’exposition Raphaël ; pour les variétés, le tarif est celui, habituel, de la salle – qui rétrocède â VTI 50 % de la recette. Pour le match de boxe, le tarif, fixé par la Fédération, était porté à 40 francs. Résultats ? On est un peu évasif, chez VTI. L’un dans l’autre, il semble que le bilan se situe, pour l’ensemble des transmissions réalisées à ce jour, à 50 % de la capacité des salles.

En ouvrant son spectacle, Renaud a salué « les petits bleds » qui recevaient son image. Castelnaudary a, semble-t-il, médiocrement apprécié. C’est pourtant dans les dits bleds que sa soirée a fait, en pourcentage, les meilleurs scores. D’après les premiers chiffres, les salles des petites villes étaient sur-remplies : Langogne : 327 spectateurs pour 288 places ; Marvejols : 289 pour 250 ; Le Vigan : 371 pour 300. Dans les villes plus importantes, c’était l’inverse : Brive : 180 personnes pour 264 places ; Vichy : 217 pour 252… A certains égards, c’est normal : « Dans des villes comme Castelnaudary, explique Mme Olive, la responsable de la salle, on ne peut pas se payer le luxe de faire venir un vrai spectacle. Trop cher. C’est pour Carcassonne, ils ont les moyens, eux. Pas nous. »

Rémy LE POITTEVIN
Photo
Jean Lenoir

  

Source : Journal inconnu