Renaud en roue libre

Libération

Critique

Echos du festival «Alors… chante» à Montauban.

par Ludovic Perrin, Montauban, envoyé spécial.

publié le 6 juin 2000 à 1h23

Montauban rénove ses fondations du XIIe siècle en même temps que son festival francophone gagne en ampleur. Depuis la venue de Juliette Gréco en 1986, «Alors… chante» est devenu une manifestation incontournable pour qui veut connaître la chanson. En quinze ans, Léo Ferré, Georges Moustaki, Charles Trenet, Pierre Perret ont contribué à sa reconnaissance. Aujourd’hui, avec 25 000 entrées en cinq jours (du 30 mai au 3 juin) et un budget nettement inférieur à ceux des Francofolies de La Rochelle et du Printemps de Bourges (3,5 millions de francs), ce rendez-vous n’entend pas se mesurer à ses grands frères, mais rivalise par la cohérence d’une programmation qui se situe dans le juste équilibre entre têtes d’affiche (Cabrel, Lavilliers, Renaud, Murat, Fersen, La Tordue, Paris-Combo) et nouveaux espoirs (Thibaud Couturier, Agnès Bihl, Flor del Fango, Tue-Loup, le Soldat inconnu). En tout, une quarantaine d’artistes dont le point commun, assure l’organisateur Jo Masure, «est d’être les créateurs de leurs propres textes et mélodies». Dans une perspective de développement de carrières, deux récompenses sont décernées à des découvertes. En compétition avec six groupes, Daniel Hélin (prix du public, déjà remarqué à Bourges) et Nicolas Jules (prix du jury) se sont produits sous le chapiteau du Magic Mirors. Vaste enceinte dressée sur les berges du Tarn, l’espace Ingres est, lui, avec le théâtre à l’italienne juché sur les hauteurs de la ville, le point d’orgue des concerts.

Beauf

Quelques heures après une prestation intense de Jean-Louis Murat, Renaud apparaît vendredi. Cette apparition s’inscrit dans le déroulement d’une longue tournée en province: 114 concerts depuis octobre 1999. Une mauvaise rumeur se répand sur l’état de santé du gouailleur. Trépignements quelques minutes avant son entrée en scène sur une version raï d’Hexagone. Visage grimé de poupée, boursouflé, voûté, Renaud est sobrement vêtu d’un pantalon et d’une chemise sombre sur laquelle un accordéon est dessiné. Accompagné de Jean-Pierre Bucolo à la guitare et d’Alain Lanty aux piano et claviers, il revisite vingt-cinq ans de répertoire. La voix est très fausse et, durant les intermèdes, les blagues sur le foot, les pédés, les boudins abondent. Le chanteur se confond de plus en plus avec les travers beaufs de sa petite comédie humaine. Glissement vulgaire, dégoût de soi et tristesse de menhir, puis il se justifie. Celui dont le succès éclata durant le règne mitterrandien se défend de toute connivence avec l’ancien président de la République. Le public n’est pas dupe, mais soutient avec ferveur son artiste. A l’heure des rappels, il confie: «J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne: un album est prêt. La mauvaise: c’est un 45 tours.» Il en chante la face B, Elle a vu le loup. «L’album ne devrait pas sortir avant 2018», dit-il dans un demi-sourire. Le but de cette tournée qui se poursuit jusqu’en décembre 2000 est justement de ramener un artiste proche de la cinquantaine vers l’écriture.

Le lendemain, Francis Cabrel offre un brillant contraste. En clôture du quinzième festival de Montauban, l’invité d’honneur a répété son spectacle dans une formule «réduite»: six musiciens au lieu de dix. Cabrel enchaîne les succès dans un plaisir partagé. Après deux heures de spectacle durant lesquelles il aura coulé deux Brassens, les Passantes et le Gorille, dans ses tempos, l’homme des rencontres d’Astaffort écoute dix «découvertes» le reprendre. Lui qui avoue se méfier des surprises, «qu’elles soient bonnes ou mauvaises», apprécie Nicolas Jules (Mais les matins) et l’ex-Nonnes Troppo, Nery, dans une version dantesque de la Corrida.

  

Source : Libération