Renaud en tournée : le chanteur plus que jamais dans les cordes, mais…

RTBF

24 mai 2023 à 09:56

Par Bruno Tummers

Renaud bouclait ce mardi sa série de concerts en Belgique au Cirque Royal, après Mons et Liège. Accompagné par de nombreuses musiciennes au violon, alto, violoncelle, etc., cette tournée s’intitule « Dans mes cordes ». Renaud y est plus que jamais, dans les cordes. Ce fût vocalement éprouvant mais…

A partir du moment où le public entre dans une salle pour applaudir le chanteur, il sait très bien que la voix est abîmée et qu’elle ne suit plus. C’est pourtant encore pire que lors de la tournée précédente, le Phoenix tour. Au-delà de l’imaginable. Les mots, même lorsqu’il parle, sont devenus inaudibles. Il savonne. Il le sait, il le dit. S’il parvient encore à interpréter en mesure, le rythme n’existe plus, chaque phrase est accélérée, rendant méconnaissables les chansons.

Ce constat posé, en tant que public, deux voies s’offrent à vous. Soit vous ne connaissez pas bien son répertoire, êtes venu le voir parce que c’est sans doute la dernière fois, un peu par hasard ou parce que vous êtes un accompagnant et vous resterez à quai, totalement en dehors de ce qu’on ne peut même plus appeler un concert.

Soit vous êtes fan, connaissez toutes les chansons par cœur parce qu’elles font partie de votre vie, lui pardonnez tout, l’aimez envers et contre tout et allez embarquer avec lui.

Renaud est un cas unique dans l’histoire de la chanson française et de la chanson tout court. Aucun artiste au monde ne pourrait proposer ce que nous avons vu sur scène hier. Le public ne le pardonnerait à personne d’autre. Ou ne reviendrait jamais, sortant de la salle dégoûté à vie. Le dernier concert de la tournée précédente en 2017, le Phoenix tour, a laissé à ceux qui l’ont vu un arrière-goût amer. L’image d’un Renaud tremblant, absent, au bord de la rupture. Pourtant, il a rempli ces dernières semaines deux Forum à Liège, deux Théâtre Royal à Mons, deux Cirque Royal à Bruxelles. Ce qui doit totaliser à peu près dix mille personnes.

La majorité du public se fout complètement que Renaud ne sache plus chanter. Il est là pour lui rendre l’amour et l’émotion ressentis lorsque l’artiste était au meilleur de sa forme et au sommet de son art, entre le milieu des années 70 et la fin 90. Les gens l’apostrophent, le bissent, lui crient « Renaud, on t’aime ». L’ambiance dans la salle est indescriptible, ça applaudit en cours de chanson, chante à sa place, se lève au milieu du set, martèle « merci Renaud » au bout de la prestation.

L’emballage de ce « concert » est sans doute l’un de ses plus beaux. Les lumières déployées en scène sont classieuses, discrètes mais adéquates. Les instrumentistes qui l’accompagnent rendent justice aux mélodies de l’artiste. On n’entend plus qu’elles, vous l’aurez compris. Parmi les cordes, on reconnaît les noms d’Elsa Fourlon et Karen Brunon, qui ont travaillé avec Laurent Voulzy et faisaient partie de l’éphémère groupe Circus, mené par Calogero il y a quelques années. Au piano, le plus que fidèle Alain Lanty (Vanessa ParadisJohnny Hallyday), à l’accordéon Jean-François Berger (Marc LavoineBénabar). Que des cadors.

Les titres interprétés sont en majorité les repères préférés des « ultras ». Tous les titres « émotion » davantage en demi-teinte. Parce que Renaud n’est plus capable d’assurer les débits rapides. On a donc eu droit hier à Mon amoureuxCœur perduLa médailleLa pêche à la ligneLe petit chat est mort… ou Son bleu — sa préférée  l’émouvant récit d’un ouvrier viré sommé de rendre son bleu de travail. Cette chanson et les autres nous serrent le cœur. Car Renaud, au début de son parcours, a bien essayé de nous cacher sa tendresse sous ses airs de loubard et de titi parisien. Son trop-plein de sensibilité qui déborde de partout dans son œuvre.

C’est d’ailleurs en partie pour ça qu’il est dans cet état. Il n’est jamais parvenu à accepter de perdre le paradis de son enfanceLe temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants, on le sait bien, il nous avait prévenus. On est pareil. On s’étonne d’être adulte, de ce chemin de vie qui nous file entre les doigts, de nos colères et de nos révoltes bien peu entendues. C’est pour ça qu’on est là avec lui. Pour essayer d’attraper un peu d’humanité dans ce monde âpre qui nous agresse en permanence.

C’est vrai, vocalement c’était épouvantable. On le dit qu’on ne reviendra plus, que ce n’est plus possible, que Renaud devrait se mettre à l’abri et nous préserver, disparaître de la scène à jamais comme Jean-Jacques Goldman. On est là quand même.

Aujourd’hui et dans les jours qui viennent, on réécoutera ses disques, se souvenant de la sortie des albums Morgane de toiMistral gagnant ou A la belle de mai, piétinant de grand matin devant la vitrine du disquaire, attendant impatiemment l’ouverture. Serrant le disque contre soi, on rentrait vite à la maison pour découvrir ces morceaux qu’on savourait petit à petit au fil des semaines. Ils sont aujourd’hui gravés dans les disques durs de nos cerveaux.

Nostalgiques d’un passé révolu, on fredonnera une nouvelle fois le cœur au bord des lèvres : et maintenant, papa, c’est quand qu’on va où ?

  

Source :  RTBF