N° 1885, 26 février 1986 (du 1er au 7 mars 1986)
Il vient de rallumer la Guerre de cent ans et la prude Albion tremble d’indignation sous les outrages de sa chanson Miss Maggie. Mais connaît-on bien Renaud par qui le scandale arrive ? Bon père de famille, médiocre pêcheur à la ligne et mauvais perdant au scrabble, en fait, il aime tout le monde.
Il fait les gros titres, et les gros tubes, Renaud. Et ne joue pour autant, ni les gros bras (il aurait du mal, pauv-moineau !) ni les grosses têtes, ni les faux modestes.
Allure de minot (gamin…), toujours pélot, moins timide qu’à ses débuts, plus rigolo et plus rigolard mais la « chetron sauvage » des affiches est bien sage et il n’est pas dupe, malgré ses côtés naïfs, du vacarme qu’il provoque.
Ça tombe bien, parce que les trompettes de la renommée finiraient presque par cacher sa petite musique à lui. Et l’arbre, la forêt. A disséquer à longueur d’ondes et de colonnes Miss Maggie (chanson anti-anglaise ou chanson anti-mecs ?) on oublie qu’elle n’est pas la mieux écrite d’un album qui s’appelle Mistral gagnant.
— Sautons Miss Maggie…
— Shocking !
— … Miss Maggie, chanson dont on a abondamment parlé…
— Au contraire, parlons-en ! Enfin. juste un peu. Je l’ai écrite après le massacre du stade du Heysel. El je l’ai écrit pour les femmes. Maigre ma réputation de misogyne…
— ??
— Oui, il parait que je suis odieux, c’est même sûr. Une vraie teigne. Mais j’aime tout le monde en fait, surtout les femmes, parce que leur connerie à elles ne s’exprime pas par la violence, sauf cas d’espèce, suivez mon regard.
Mais je n’ai pas touché aux joyaux de la couronne, à la reine d’Angleterre. Qu’est-ce que ça aurait été ! Et d’ailleurs, une copine m’a dit que dans les pubs, les Anglais se marrent et trinquent à ma santé quand ils entendent la chanson.
— A la vôtre ! Chanson suivante : Mistral gagnant. C’est le nom d’une friandise appréciée dans votre petite enfance, et disparue, comme elle…
— Avec ma gosse, j’ai pris un coup de vieux. Je la regarde, je regarde ses copines : je suis devenue un témoin de l’enfance… j’ai toujours été attiré par les « simples d’esprit », qui n’ont pas de soucis mas qui ont de la bonté.
Plus jeune, forcément, je fréquentais plus les gamins à mobylette que les gamines à tricycle. Mais je n’allais pas chanter les « mob» » toute ma vie. Aujourd’hui, je suis père de famille et ce thème-là m’est plus cher que les histoires de baston et de bistrot d’autrefois.
— La Pêche à la ligne est un thème plus surprenant.
— Mais j’adore ça ! J’ai commencé sur mon bateau, à pêcher à la traîne. Maintenant, je continue, en rivière et sur lac. Je ne prends rien. Ou pas grand-chose : un brochet en huit mois. Peu importe, ce n’est pas le but. On pêche pour l’espoir, l’attente. Et quand ça mord, c’est tellement jouissif ! Et plus jouissif encore, quand le poisson se décroche.
— Nous avez gobé l’hameçon, je tire sur la bobinette…
— C’est pas du tout adéquat, le vocabulaire, vous n‘y connaissez rien, ma pauv’dame.
— … Et donc, hors la pêche, quels sont vos loisirs favoris ?
— … (moue perplexe)
— Par exemple. qu’est-ce que vous avez lu, écouté, vu au cinéma ou au spectacle ces derniers temps ?
— Je suis en tram de lire Les Femmes qui tombent de Desproges. J’aime. J’aime aussi le dernier Frédéric Dard.
— Qui vous appelle « mon fils », dans une récente préface d’un livre consacré à votre œuvre… (voir encadré).
— On se moque ?… j’ai aussi été très touché par L’Ami retrouvé de Fred Ullman. Mais je ne lis pas beaucoup. Et je ne suis pas allé au cinéma depuis huit ans. Ah si, avec ma fille, voir Pinocchio. Ça nous a plus.
Qu’est-ce que vous voulez encore ? Les disques ? Ben voilà, à Noël je suis allé au Bhv et je me suis offert les dernières œuvres de Coluche, Springsteen, Madonna. Et les inédits de Brassens par Jean Bertola.
Mistral gagnant L’homme à la chetron d’enfer, le chanteur énervant (selon son propre aveu) vient de relier au Seuil de sa grande gloire les textes de ses chansons qu’il a lui-même naïvement illustrés. On assiste aux débuts du gringalet parigot entouré de sa grande famille : Rita, Jojo le démago, Greta, Mélusine et la Bande à Lucien, une galerie de portraits digne de Margevin ! Si le style est assez simple et classique durant la première année, sans trop de métaphores, de mots de jeux, il vire rapidement au genre que l’on connait, en 75, avec Laisse béton, Les Charognards. Un humour, une inspiration qui se précise au fil des titres. Et comme les œuvres impressionnistes (voire impressionnants !) qu’on ne déguste qu’en prenant du recul, certains des textes de Renaud valent qu’on s’en éloigne ou qu’on y revienne. ANNIE MORILLON Chansons et dessins de l’auteur, préface de Sant-Antonio (Coll. Points Seuil) |
— Vous aviez été pressenti pour les interpréter…
— Je les ai achetés pour voir à quoi j’avais échappé… Je n’ai pas osé faire ça. C’était un héritage trop lourd à porter. Et puis sur certaines chansons, il fallait écrire des musiques, elles n’existaient
pas…
J’aurais été prétentieux d’aller déposer notes le long des textes géniaux de Brassens ! Je sais ce que ça aurait donné dans ma bouche : Renaud imite Brassens.
Il n’y avait que Bertola pour pouvoir faire ça, et le faire bien. Moi, j’ai eu la trouille. Je me serais fait dégommer par les gardiens du temple !
— Bref, vous aimez Brassens.
— Je l’écoute depuis que je suis né. Et je suis né en 1952, l’année de son premier disque. Définir Brassens ? C’est une césure, une phrase, une mélodie, un accompagnement, une voix, une tronche, une bonhomie, une façon de vivre sa vie, une poésie… Et tout ça, ça donne le talent, ça donne Brassens. Et, entre autres, une certaine idée de l’amitié…
— Merci pour l’enchaînement. L’amitié, comme plus récemment l’enfance, revient beaucoup dans votre répertoire. Il y a eu Manu, qu’on a comparé au Jeff de Brel…
— Manu, c’est moi. C’est mon troisième prénom : Renaud, Pierre, Manuel. Je n’ai pas cherché à faire du Brel, pas si fou ! J’étais simplement en colère contre ma gonzesse quand j’ai écrit ça : « Eh déconne pas Manu, c’t’a moi qu’tu fais de’la peine, une gonzesse de perdue, c’est dix copains qui reviennent »… Je me voyais pleurant dans un bar…
Mais dans mon dernier album Si t’es mon pote, c’est moi aussi. Quand j’écris je, c’est souvent il, et quand je dis il, c’est souvent je. Me fais-je bien comprendre ? C’est une façon de tromper l’adversaire.
— La chanson Tu vas au bal n’est pas un autoportrait beaucoup plus aimable que Si t’es mon pote, ou que l’a été La Teigne.
— Je suis odieux, despote, possessif, exclusif, en amitié comme en amour. Quand je joue au scrabble avec mes potes et qu’ils gagnent, je pars en gueulant, en claquant la porte, en pleurant. Qu’est-ce que vous croyez, je fais de la chanson réaliste !
— Et Fatigué, c’est une chanson réaliste ?
— Ce n’est pas une bonne chanson, en tout cas. « Fatigué du mensonge et de la vérité, que je croyais si belle, que je voulais aimer »… Ouh là là ! On dirait an poème d’écolier. Je crois pas qu’elle fasse date dam l’histoire de la littérature !
J’ai commencé à l’écrire en Urss, cet été… Mais je ne tiens pas trop à parler de cet épisode. Le public, ou soi-disant tel, qui a déserté en masse quand je chantais Le Déserteur… Je n’en ai pas voulu aux communistes de m’avoir entraîné dans cette galère. Ils ont été naïfs et moi j’ai suivi.
Jusque-là. ç’avait été une belle fête, ce Festival de la Jeunesse à Moscou, plus belle encore que la cérémonie de clôture des jeux Olympiques de Los Angeles.
Je me suis peut-être un peu fourvoyé en allant chanter dans un pays en guerre contre l‘Afghanistan… Mais quand je vais enregistrer à Los Angeles, je ne fais pas de déclaration sur la politique américaine au Nicaragua… Si je ne devais travailler que dans des démocraties pures, je chanterais en Laponie. Et encore.
— Vous vous êtes senti récupéré ?
— Si le Rpr me demande de chanter pour des ouvriers en grève, je le ferai. Non. je ne me sens pas récupéré. Mais je réfléchis avant de parler, maintenant. J’ai des propos naïfs.
Je ne suis pas Yves Montand, moi, je ne suis pas balèze, côté rhétorique et dialectique. Et comme tout le monde, je me suis rendu compte que le pouvoir des artistes est souvent plus important que celui des hommes politiques. Alors, je fais gaffe.
— Vous êtes armer ?
— Non. Je suis acide. Et vous ?
Propos recueillis par
ANNE-MARIE PAQUOTTE
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- Renaud au Zénith du 25 février au 12 mars, puis en tournée. A signaler, le petit livre très tendre que Régis Lefèvre lui consacre : Dès que le vent soufflera. (Ed. Pierre-marcel Favre)
Source : Télérama