Renaud et Delerm sont sur un bateau

Fluctuat.net

Société ! Tu m’auras pas eu tout de suite !
Fight Mou

Le 7 novembre 2006
Par Cédric Bégoc

Renaud est le maître à penser de la nouvelle scène française, avec son passif de révolté et sa dégaine de vieil épagneul, il garde tout le charisme nécessaire à une reconnaissance de supermarché. Il nous revient avec un Rouge Sang molasson, en jumelant sa promo à celle de Vincent Delerm. Renaud a vieilli, c’est normal. Bien vieilli ? Pas sûr.

Renaud Séchan et Vincent Delerm, c’est le petit couple de la rentrée musicale. En septembre, on les a vu s’afficher ensemble dans le cyberclub le plus tendance de l’année 2006 : YouTube. En six clips aigres-doux, le duo s’affiche clairement complice, et exporte cette complicité jusque dans les charts où il caracole en tête des ventes d’albums. Comble de la hype en 3w, leur association marketing pousse même ses tentacules jusque sur Amazon, le site de vente en ligne, ou ceux qui désirent acheter le Rouge Sang de Renaud sont invités à se procurer Les Piqûres d’Araignées de son jeune comparse, et inversement.

Que Renaud, revenu sur le devant de la scène en 2002 avec son Boucan d’Enfer gluant d’humanisme, ne soit plus capable d’une écriture et de chansons aussi fortes dans l’acidité que dans la tendresse passe encore. La carrière de Renaud a commencé il y a plus de trente ans, et même Bob Dylan s’est affadi avec le fil des ans, alors on ne lui reprochera pas d’être moins vif, moins drôle et moins intelligent. On ne lui reprochera pas de ne pas être Brassens et d’avoir succombé aux trompettes de la renommée.

Mais on lui reprochera « Les Bobos », on lui reprochera cette critique facile qui paraît avec 4 ans de retard, à l’époque où Technikart, le mag qui les a popularisé, s’interroge sur leur mise à mort, on lui reprochera cette charge d’un genre social qu’il a pratiquement inventé et dont il apparaît aujourd’hui comme le digne empereur, prenant sous son aile le bobo du 21e siècle par excellence : Delerm. On lui reprochera de citer Desproges dans sa chanson, pour se donner contenance, puis de nous asséner par derrière la chanson « J’ai retrouvé mon flingue », où selon ses propres dires à l’hebdo belge Telemoustique : « Je reflingue tous azimuts ! Comme je le dis dans cette chanson : « Tu verras que je bouffe encore du curé, du rabbin, du mollah » » comme si c’était vraiment important.

Mais tu l’avais déjà retrouvé ton flingue, Renaud ! Tu l’avais déjà retrouvé en 1980, à la fin d’une de tes vraies chansons : « Où c’est que j’ai mis mon flingue ? » à laquelle la nouvelle fait semblant de répondre. Ce n’était qu’une question de rhétorique Renaud, tu retrouvais ton flingue à la fin de ta chanson. Ton flingue c’était la défiance, et il avait des choses à protéger. Aujourd’hui, je me retrouve dans le rôle de l’un de ces journaleux « qui te traite de démago dans leurs torchons que tu liras jamais », mais toi tu n’es plus celui qui déclarait que « le poète n’a pas toujours raison, que la femme est l’avenir des cons, que l’homme n’est l’avenir de rien ». Maintenant, tu es le vieux usé qui compare pauvrement la plume à un flingue. Mais c’est d’un flingue en plastique dont tu parles, comme celui que tu tiens dans tes gaudrioles avec Vincent. Toi qui n’en recevait aucune, tu es devenu donneur de leçons.

Au point que tu voudrais nous faire « Arrêter la clope » avec la hargne débile dont seul un ex-fumeur sait faire preuve. Et ensuite ? Arrêter de manger gras ? Arrêter de téléphoner au volant ? Arrêter la bière ? N’as-tu pas peur de ce qu’aurait répondu Desproges, même rongé par le cancer, à tes assertions si basses de plafond ?

Nous passerons sur « Elle est facho » qui exprime, avec une sincérité égale à la balourdise, un dégoût encore certain pour certaines crasses politiques. Le genre de chansons qui sonnaient déjà un peu étrangement à ton époque loubard, toi qui n’as jamais vraiment été chanteur politique, qui baladait déjà ta bohème bourgeoise, mais à l’époque, que reprocher à un si agréable troubadour ?

Brassens dît un jour à Renaud « vos chansons sont merveilleusement construites », le désignant ainsi comme un descendant légitime et sérieux d’une certaine chanson française. A l’âge où Georges lui fît ce compliment, Renaud Séchan passe le flambeau à Vincent Delerm, au détour d’un plan de net-marketing parfaitement huilé auquel il ne comprend sans doute rien.

Les illustrations de Patrice Killoffer excepté, Rouge Sang est chiant, vieillot et bien-pensant au possible. La société a eu Renaud, elle aura peut-être mis le temps, attendu son heure, et sera finalement passée par le Web 2.0, mais elle a englouti jusqu’aux os cet homme qui ne se battait plus pour lui résister.

Reste à savoir pour Renaud si on le laissera entrer dans son « Bistrot préféré » ?

Rouge Sang 
Renaud

EMI
Sortie le 2 octobre 2006

Quant à l’album de Vincent Delerm, il est constant dans l’inspiration et dans l’effort. Prenez cette phrase comme bon vous semble.

Les Piqûres d’Araignées
Vincent Delerm

Tôt ou Tard
Sortie le 25 septembre

Cédric Bégoc

  

Sources : Fluctuat.net et le HLM des Fans de Renaud