Renaud évoque sa dépendance à l’alcool et voilà pourquoi c’est important

Le HuffPost

Culture | 29/11/2019 04:09

Dans son album « Les mômes et les enfants d’abord », le chanteur évoque les dix ans de dépression qu’il a vécu, loin du discours glamour d’un « style de vie rock’n’roll ».

MUSIQUE – « On va pas s’laisser pourrir par cet alcool à la con », chante Renaud dans son nouvel album « Les mômes et les enfants d’abord », sorti ce vendredi 29 novembre. Trois ans après son dernier opus, le chanteur de 67 ans y évoque sans détour sa dépendance à l’alcool. Et cette prise de parole fait figure d’exception dans l’industrie musicale particulièrement en prise aux addictions.

Ce n’est pas la première fois que Renaud Séchan aborde, en chanson ou en interview, sa consommation addictive d’alcool. Pourtant les paroles du morceau « On va pas s’laisser pourrir » sont d’un autre genre. L’artiste, qui dit aujourd’hui être abstinent depuis près d’un an, y révèle sans métaphores la souffrance par laquelle il est passé:

Dépression, hypocondrie et problème de foie ou de colon, Renaud aborde avec transparence les conséquences de sa dépendance à l’alcool sur sa santé mentale et physique. Fini l’évocation allusive de « vieux démons » ou autres formules poétiques qui sont souvent légion pour parler d’alcool.

Le « style de vie rock’n’roll »

« En France, les idées reçues sont encore très fréquentes. On parle de ‘style de vie rock’n’roll’, on banalise le recours à l’alcool comme si c’était un antidépresseur. Et on retrouve souvent ce message lorsque le sujet est évoqué par des artistes français », observe pour Le HuffPost Jean-Victor Blanc, médecin psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine à Paris et auteur du livre « Pop & Psy: Comment la pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques ».

Il faut dire que Renaud est loin d’être le seul à souffrir d’une dépendance à l’alcool. Une enquête publiée en novembre 2019 par le collectif Cura sur la santé et le bien-être dans l’industrie musicale française révèle que 43% des personnes interrogées (chanteurs, compositeurs, mais aussi régisseurs) déclarent avoir des problèmes avec l’alcool. Et 30% une addiction à des drogues. À tel point que de précédentes études prouvent que l’espérance vie des popstars est plus courtes que la moyenne.

La raison? La consommation d’alcool et les drogues est souvent banalisée, voire encouragée car on prête à ses substances un impact sur la créativité ou l’imagination. « Il y a beaucoup d’idées reçues sur le sujet », explique le Dr. Jean-Victor Blanc. « Le plus souvent, le produit provoque en fait les effets attendus. Il lève un frein et donne aux artistes l’impression qu’ils sont plus libres et qu’ils peuvent mieux créer », mais au niveau psychopharmacologique, rien n’est prouvé.

Les mythes de l’absinthe et du LSD

Historiquement, on se plaisait déjà à raconter que les œuvres de Verlaine et Rimbaud ou les toiles de Toulouse-Lautrec étaient nées « grâce » à l’absinthe. « Si ‘Rubber Soul’ était l’album de l’herbe, ‘Revolver’ est celui de l’acide », disait plus tard John Lennon, quand Brian Wilson des Beach Boys n’a jamais caché avoir composé « Good Vibrations » sous LSD.

« Certaines œuvres ont été écrites sous l’usage de produits psychoactifs comme le LSD, on ne peut pas le nier », concède le psychiatre interrogé, « mais le plus souvent, c’est beaucoup de projection de la part de l’artiste. »

Ces idées reçues tendent à enfermer les artistes dans ces représentations là. « Un chanteur peut croire trouver son salut dans l’alcool ou la cocaïne, mais pas en consultant un professionnel pour comprendre sa détresse », déplore le Dr. Jean-Victor Blanc. Le rappeur français Skhyd, membre du collectif Cura, témoignait ainsi à Libération: « Dans la musique, les fragilités personnelles peuvent parfois être un drôle d’argument marketing. On dit qu’il faut souffrir pour créer, pour justifier la profondeur d’un album ou l’intensité d’une performance. »

Rendre glamour ces discours dans une chanson ou une interview peut avoir des conséquences néfastes. « Si on entend tel chanteur dire que lorsque cela ne va pas, la solution c’est de se servir un verre ou plusieurs, cela va à l’encontre du discours des soignants », confirme le Dr. Jean-Victor Blanc. La projection est facile, surtout lorsqu’on parle de célébrités appréciées qui ont « un rôle de modèle dans l’espace public. »

PARLOPHONE

Entendre Renaud évoquer en chanson sa dépendance à l’alcool dans « On va pas s’laisser pourrir », mais aussi dans les titres « Y z’ont mis l’feu à l’école » ou « Le crabe et la langoustine » est encourageant pour le psychiatre. « Il est assez rare qu’une personnalité de cette envergure, de cette popularité et de cet âge-là prenne la parole sur le sujet d’une manière moins cliché, moins dans les idées reçues. Ça fait un support pour en parler », réagit notre interlocuteur.

Il est plus facile de consulter ou de parler de l’alcool et de ses méfaits en écoutant un album de son idole

« C’est non seulement une occasion de rappeler que la dépendance à l’alcool est une maladie, mais aussi qu’on a moyen d’aider les gens s’ils consultent. » Une chanson peut-elle être le déclencheur pour inciter un malade à se faire soigner? Cela n’est encore jamais arrivé au Dr Jean-Victor Blanc. « Les maladies mentales sont complexes et causées par tellement de facteurs que ça ne peut pas être juste une chanson. Mais il est plus facile de consulter ou de parler de l’alcool et de ses méfaits en écoutant un album de son idole. »

Pourtant le psychiatre en est convaincu, cette prise de parole rare peut avoir un impact positif: « Le plus efficace pour changer les représentations liées à la maladie mentale, c’est lorsqu’une personne concernée en parle, et notamment lorsqu’elle va mieux et qu’elle peut prendre la parole sur le sujet ». À quand un album de Renaud remboursé par la sécurité sociale?

  

Source : Le HuffPost